Depuis huit mois, en fait depuis la proposition de charte des valeurs, je me suis abstenu d’intervenir publiquement sur les partis politiques et leurs discours. Pendant la campagne électorale qui vient de se terminer, seule l’intervention curieuse d’anciens présidents de la CSN en appui à la candidature de Pierre-Karl Péladeau m’a poussé à une sortie publique. Non pas que je sois décroché de l’actualité québécoise et encore moins que j’aie décidé de me bercer sur la galerie en regardant les wagons de pétrole passer. J’avais plutôt l’espoir qu’une nouvelle génération militante prenne la relève et que les questions de l’avenir de la planète, de la réduction des inégalités et de la démocratie participative soient au devant des réflexions politiques collectives.
Depuis huit mois, tout le paysage politique québécois a, bien au contraire, porté sur des sujets tout aussi futiles que le choix de la valse à jouer sur le pont du Titanic le soir de son naufrage. Doit-on limoger une infirmière qui refuserait d’enlever son voile? Doit-on avoir peur de l’expression démocratique d’un peuple lors d’un référendum? Doit-on mettre des péages sur un des ponts qui relie Montréal au «continent»? Doit-on avoir plus de GMF, de PPP? Doit-on fouiller le sol à la recherche de pétrole à Anticosti? Doit-on faire du ciment en Gaspésie? Oui, je dis que tout cela est futile! Futile pour éclairer le choix d’un gouvernement responsable de ce que nous laisserons comme véritable héritage à nos enfants. Non pas que le prochain gouvernement ne doive pas répondre à ces questions qui préoccupent la population au quotidien. Mais au-delà de ces sujets, pour choisir ceux et celles qui vont nous diriger, ne devrions-nous pas regarder ce qui nous attend si nous continuons sur la même voie?
Quand le Fonds monétaire international (FMI), une organisation au cœur du développement capitaliste de la planète, pose la question de l’écart entre les plus riches et le monde ordinaire et propose de s’y attaquer pour le réduire; quand ce même FMI remet en question la taille démesurée des banques et les considère comme un danger pour la stabilité économique et politique de la planète; quand le Groupe Intergouvernemental d’experts de l’ONU sur l’Évolution du Climat (GIEC) nous rappelle encore une fois que le dérèglement climatique met en danger la survie même de l’humanité; quand Jean Lemire, capitaine du bateau SEDNA et environnementaliste apolitique, nous lance un cri du cœur à l’effet que la production de la richesse ne signifie pas du tout son partage équitable et encore moins l’utilisation responsable des ressources; quand même la NASA lie inégalités sociales à disparition de l’humanité, etc. Quand tout cela devrait préoccuper au moins ceux et celles qui nous dirigent, de quoi nous parlent nos politiciens? De sujets qui visent à leur faire obtenir un vote de plus; électoralisme à la carte, dans un monde qui a plutôt besoin d’une direction intelligente et qui nécessitera des choix éclairés mais difficiles sous peu.
D’ici 50 ans, il nous faudra trouver un autre modèle économique, basé sur la coopération plutôt que sur la concurrence, une économie qui devra redéfinir la notion de développement économique et qui soustraira l’impact à long terme sur l’environnement de la supposée richesse produite. Il nous faudra développer des façons de produire l’énergie sans aggraver le dérèglement climatique. Il nous faudra nourrir encore plus d’humains avec moins de fertilisants, avec des mers où les poissons semblent de plus en plus incapables de se reproduire. Il nous faudra rendre accessible une eau potable plus rare à des populations de plus en plus assoiffées. Il nous faudra lutter contre des épidémies dues à l’adaptation des virus et bactéries alors que le vieillissement des populations les rendra plus vulnérables.
Loin de moi l’idée d’être alarmiste et encore moins prophète de malheur. Au contraire! J’y vois des défis stimulants pour des populations instruites et sures d’elles-mêmes. Mais pour y arriver il faut s’y mettre dès maintenant : rendre l’instruction encore plus accessible, investir dans la recherche fondamentale, prendre des mesures concrètes soutenant les énergies renouvelables, partager encore mieux les richesses, rapprocher le pouvoir des citoyens, penser nos villes, nos pays, en fonction des bouleversements climatiques (montée des eaux, de la chaleur, nécessaire accroissement du verdissement et de l’autonomie alimentaire locale) etc.
Je n’ai pas entendu grand ’chose de tout cela depuis huit mois. Bien sûr quelques partis politiques et certains candidats se sont exprimés dans ce sens. Mais le principe de la «ligne de parti» de ceux qui s’échangent le pouvoir depuis des décennies ne va pas dans ce sens. Le pouvoir planétaire a été accaparé par des «riches» en argent, mais «pauvres» en vision d’avenir. Au Québec, au Canada, nous ne faisons pas exception. Depuis huit mois, je ne vois que des politiciens faire de la politique comme je la déteste!
Dans les années 1960, c’est le Parti Libéral du Québec qui a ouvert la porte à une sortie de la grande noirceur économique et intellectuelle qui paralysait le Québec. Depuis 40 ans, la question nationale a accaparé beaucoup d’énergie politique. Maintenant que les québécois ont encore une fois tourné le dos à l’idée d’indépendance et que le Parti Libéral du Québec a repris le pouvoir, serait-il en mesure d’ouvrir une nouvelle porte qui nous mènerait à une révolution écologiste, économique et démocratique suffisamment visionnaire pour nous permettre d’être fiers de nous dans 50 ans? Ou bien ne sera-t-il qu’une brindille prise dans le courant bien pensant du libéralisme économique mondial?
Si le PLQ de M. Couillard croit vraiment qu’il faille parler des vraies affaires, si M. Couillard veut laisser une trace marquante dans l’histoire du Québec, je crois qu’il doit se projeter plus loin que la simple durée de vie d’un gouvernement. Les libéraux ont la possibilité d’amorcer une nouvelle révolution tranquille, celle qui soutiendra la survie de la planète et même de l’humanité. Le feront-ils? En parleront-ils?
Nous, nous sommes prêts!
Et vous M. Couillard?
Louis Roy
Organisateur communautaire et ex président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)
Paru en version courte dans La Presse du 15 avril 2014
Voir aussi sur le Japon: http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140321trib000821608/pourquoi-nous-sommes-a-la-merci-des-discours-economiques.html