Archives de Catégorie: Identité nationale

Journée nationale des Patriotes

Journée nationale des Patriotes

Mes ancêtres sont arrivés ici, lui comme soldat dans le Régiment de Carignan-Salières et elle comme Fille du Roy. Comme bien d’autres, ils fuyaient la pauvreté, la peste, la misère des paysans. Ils y étaient aussi poussés par l’appétit sans borne des rois qui n’en avaient que pour la conquête de territoires aux dépens de soldats, de pauvres gens, chairs à canon, kamikazes désignés sur des champs de bataille sanglants.

Suite à une traversée sans confort ni plaisir, ils construisirent des forts pour barrer la route aux Iroquois, un peuple fier qui ne faisait que défendre ses lieux d’habitation et de commerce, si petits sur un territoire si grand. Ils construisirent des cabanes pour loger leurs espoirs sur des terres devenues propriétés des communautés religieuses et des nouveaux seigneurs d’un pays à construire. Une fois la paix intervenue avec les premières nations, plusieurs choisirent de demeurer ici, dans ce qui leur semblait un paradis de liberté comparé aux campagnes françaises.

Plusieurs rencontrèrent la véritable liberté en côtoyant ces premiers habitants qui occupaient le territoire depuis des millénaires, y vivant très près de la nature. Ils y découvrirent une autre logique, une autre façon de vivre dans l’harmonie et dans la solidarité, en affrontant un climat aussi hostile qu’accueillant.

D’autres profitèrent des ressources naturelles pour développer une économie marchande qui fut récupérée plus tard par un autre envahisseur, les Anglais. La plupart s’installèrent dans le paisible mais difficile rôle de laboureurs, les femmes élevant une multitude d’enfants pour assurer la relève et la survie de la nation.

Pour tous, les difficultés furent nombreuses : maladies, sécheresses, froid brûlant, feux de forêts ou de leurs pauvres maisons. Mais pour eux, il n’était pas question de revivre la misère d’alors de leur pays natal. Ils s’enracinèrent ici, tant bien que mal, dans une résistance passive mais déterminée.

L’abandon par la France et la domination anglaise qui s’en suivit furent une raison supplémentaire de repli sur soi, sur sa religion, sa langue, sa culture. On leur permit une certaine liberté, illusion d’une enclave franco-catholique en Amérique protestante.

Aussi, lorsque les Patriotes tentèrent de réveiller ce peuple à nouveau soumis, de lui rappeler ce qu’était la liberté qu’ils étaient venus chercher ici, ils se butèrent à cette peur de devoir tout reprendre à zéro comme durent le faire des milliers d’Acadiens. Ceux qui voyaient l’avenir de ce peuple français en terre d’Amérique s’étioler et qui comprenaient que sans relever la tête elle finirait par tomber au sol, ceux-là tentèrent de soulever une rébellion qui incluait tout autant les immigrants anglophones opposés au roi d’Angleterre. Cependant, lutter contre cet empire ne pouvait réussir sans l’appui d’une autre grande nation. C’était un échec annoncé.

Mais, pour l’histoire, les échecs ne sont souvent que la semence d’une future victoire. Sans la rébellion de 1837, il n’y aurait peut-être pas eu cette remontée d’une nouvelle volonté de liberté dans ce qu’on a appelé la Révolution tranquille et ses suites politiques. Pendant plus de cent ans, on nous avait occulté ce pan de notre histoire, préférant nous parler de Madeleine de Verchères ou de Dollard des Ormeaux. Aujourd’hui, cette belle première journée d’été nous permet un repos bien mérité, alors que la renaissance de la nature peut inspirer autant les poètes que les militants pour un pays inclusif. Que cette Journée des Patriotes puisse nous rappeler un tant soit peu cette volonté de liberté et d’inclusion qui doit toujours nous guider.

Vive la Liberté!

Élections fédérales : La piscine à vagues!

Les cent premières années du Canada se sont déroulées dans une seule et unique atmosphère électorale, celle du bipartisme. Le pouvoir est donc passé des bleus aux rouges, puis des rouges aux bleus dans une alternance permettant un développement relativement comparable entre les régions du Canada. Les méthodes électorales étaient simples : promesses de routes et corruption du vote, le tout agrémenté de claques sur la gueule et de boîtes de scrutin à double fond. Avec l’ère de la rectitude politique, les partis politiques ont développé de nouvelles formes de tromperies pour le bon peuple : publicité négative, faux débats télévisés, enjeux identitaires faussés ou politiques de division ont pris la relève des batailles physiques. Mais les promesses et la corruption sont quand même demeurées des éléments constitutifs du système électoral uninominal à un tour. Les lobbyistes s’assurent maintenant que le système est bien graissé, mais légal…

Au Québec nous avons ajouté un ingrédient subversif aux élections fédérales, la souveraineté du Québec. Ainsi, dans les années 1960 et 1970, nous avons choisi d’ignorer la diversité canadienne pour la réduire à une vision bipolaire : les indépendentistes d’un côté et les méchants «canadian red necks» anti québécois de l’autre. Bien que l’exploitation des canadiens français par une élite anglophone fut une réalité incontestable de notre histoire, nous avons oublié qu’il y avait aussi au Canada les nations autochtones, les pêcheurs ancestraux de Terre Neuve, les acadiens des Maritimes, les franco ontariens, les métis et les francos des Prairies, les immigrants européens de l’est et les britanno colombiens plus intéressés par l’Asie et la Côte ouest américaine que par leurs lointains colocataires au Québec. Bref, nous avons oublié que le Canada «uni contre nous» n’existait pas. Du moins pas au point de créer chez ses habitants, coast to coast, une appartenance identitaire unique. Peut-être même que notre volonté de réinventer le Québec comme un pays souverain, a-t-elle permis, enfin, à un gouvernement central de définir ce qu’était ce Canada dans lequel ils voulaient vivre. Pierre Trudeau a pu alors se permettre d’écrire la recette de ce nouveau pays, vieux de plus de cent ans : une charte des droits, une forme de multiculturalisme courtepointe et une identité pacifiste internationale, sans parler d’une Constitution faussement rapatriée pour laquelle le Québec n’a pas eu son mot à dire.

Après 25 ans de polarisation politique, au début des années 1990, la deuxième défaite référendaire des indépendantistes avait été précédée d’une première vague électorale québécoise qui envoyait, du Québec à Ottawa, une majorité de députés «séparatistes». Cette sortie du bipartisme habituel allait marquer un tournant qui semble se poursuivre encore aujourd’hui. Plusieurs électeurs ont de plus compris que peu importe qui gouverne ce pays, ce ne sont pas les députés qui influencent l’avenir, ni même le chef de la formation politique majoritaire. Au pouvoir ou dans l’opposition, les politiques néolibérales continuent leur gros bonhomme de chemin, sans se préoccuper des gouvernements «locaux», si ce n’est pour leur soutirer encore plus de privilèges pour les banquiers, multinationales et financiers du monde. L’establishment n’est plus «canadian red neck», il est planétaire. Les élections locales ne servent donc qu’à choisir avec quelle intensité nous allons subir les contrecoups des crises économiques d’un système en folie, les problèmes de pollution et de dérèglement du climat, ainsi que les attaques à nos services collectifs et à nos conditions de vie au travail.

Vu comme ça, la fidélité à un parti n’a plus de sens. Il vaut mieux choisir celui qui nous fera le moins mal et nous permettra de vivre encore quelques années dans l’inconscience de ce qui nous attend. Ou, pour les plus optimistes, cela permet de préparer les conditions pour un jour changer le système de fou dans lequel nous vivons. Nous sommes entrés dans l’ère politique de la piscine à vagues! Et comme disait Bob Dylan en 1964, dans sa chanson The Time They Are a-Changing, il serait grandement temps d’apprendre à nager! «Then you better start swimmin’, Or you’ll sink like a stone.»

Louis Roy

Paru dans Le Devoir du 22 octobre 2015

La politique comme je la déteste!

Depuis huit mois, en fait depuis la proposition de charte des valeurs, je me suis abstenu d’intervenir publiquement sur les partis politiques et leurs discours. Pendant la campagne électorale qui vient de se terminer, seule l’intervention curieuse d’anciens présidents de la CSN en appui à la candidature de Pierre-Karl Péladeau m’a poussé à une sortie publique. Non pas que je sois décroché de l’actualité québécoise et encore moins que j’aie décidé de me bercer sur la galerie en regardant les wagons de pétrole passer. J’avais plutôt l’espoir qu’une nouvelle génération militante prenne la relève et que les questions de l’avenir de la planète, de la réduction des inégalités et de la démocratie participative soient au devant des réflexions politiques collectives.

Depuis huit mois, tout le paysage politique québécois a, bien au contraire, porté sur des sujets tout aussi futiles que le choix de la valse à jouer sur le pont du Titanic le soir de son naufrage. Doit-on limoger une infirmière qui refuserait d’enlever son voile? Doit-on avoir peur de l’expression démocratique d’un peuple lors d’un référendum? Doit-on mettre des péages sur un des ponts qui relie Montréal au «continent»? Doit-on avoir plus de GMF, de PPP? Doit-on fouiller le sol à la recherche de pétrole à Anticosti? Doit-on faire du ciment en Gaspésie? Oui, je dis que tout cela est futile! Futile pour éclairer le choix d’un gouvernement responsable de ce que nous laisserons comme véritable héritage à nos enfants. Non pas que le prochain gouvernement ne doive pas répondre à ces questions qui préoccupent la population au quotidien. Mais au-delà de ces sujets, pour choisir ceux et celles qui vont nous diriger, ne devrions-nous pas regarder ce qui nous attend si nous continuons sur la même voie?

Quand le Fonds monétaire international (FMI), une organisation au cœur du développement capitaliste de la planète, pose la question de l’écart entre les plus riches et le monde ordinaire et propose de s’y attaquer pour le réduire; quand ce même FMI remet en question la taille démesurée des banques et les considère comme un danger pour la stabilité économique et politique de la planète; quand le Groupe Intergouvernemental d’experts de l’ONU sur l’Évolution du Climat (GIEC) nous rappelle encore une fois que le dérèglement climatique met en danger la survie même de l’humanité; quand Jean Lemire, capitaine du bateau SEDNA et environnementaliste apolitique, nous lance un cri du cœur à l’effet que la production de la richesse ne signifie pas du tout son partage équitable et encore moins l’utilisation responsable des ressources; quand même la NASA lie inégalités sociales à disparition de l’humanité, etc. Quand tout cela devrait préoccuper au moins ceux et celles qui nous dirigent, de quoi nous parlent nos politiciens? De sujets qui visent à leur faire obtenir un vote de plus; électoralisme à la carte, dans un monde qui a plutôt besoin d’une direction intelligente et qui nécessitera des choix éclairés mais difficiles sous peu.

D’ici 50 ans, il nous faudra trouver un autre modèle économique, basé sur la coopération plutôt que sur la concurrence, une économie qui devra redéfinir la notion de développement économique et qui soustraira l’impact à long terme sur l’environnement de la supposée richesse produite. Il nous faudra développer des façons de produire l’énergie sans aggraver le dérèglement climatique. Il nous faudra nourrir encore plus d’humains avec moins de fertilisants, avec des mers où les poissons semblent de plus en plus incapables de se reproduire. Il nous faudra rendre accessible une eau potable plus rare à des populations de plus en plus assoiffées. Il nous faudra lutter contre des épidémies dues à l’adaptation des virus et bactéries alors que le vieillissement des populations les rendra plus vulnérables.

Loin de moi l’idée d’être alarmiste et encore moins prophète de malheur. Au contraire! J’y vois des défis stimulants pour des populations instruites et sures d’elles-mêmes. Mais pour y arriver il faut s’y mettre dès maintenant : rendre l’instruction encore plus accessible, investir dans la recherche fondamentale, prendre des mesures concrètes soutenant les énergies renouvelables, partager encore mieux les richesses, rapprocher le pouvoir des citoyens, penser nos villes, nos pays, en fonction des bouleversements climatiques (montée des eaux, de la chaleur, nécessaire accroissement du verdissement et de l’autonomie alimentaire locale) etc.
Je n’ai pas entendu grand ’chose de tout cela depuis huit mois. Bien sûr quelques partis politiques et certains candidats se sont exprimés dans ce sens. Mais le principe de la «ligne de parti» de ceux qui s’échangent le pouvoir depuis des décennies ne va pas dans ce sens. Le pouvoir planétaire a été accaparé par des «riches» en argent, mais «pauvres» en vision d’avenir. Au Québec, au Canada, nous ne faisons pas exception. Depuis huit mois, je ne vois que des politiciens faire de la politique comme je la déteste!

Dans les années 1960, c’est le Parti Libéral du Québec qui a ouvert la porte à une sortie de la grande noirceur économique et intellectuelle qui paralysait le Québec. Depuis 40 ans, la question nationale a accaparé beaucoup d’énergie politique. Maintenant que les québécois ont encore une fois tourné le dos à l’idée d’indépendance et que le Parti Libéral du Québec a repris le pouvoir, serait-il en mesure d’ouvrir une nouvelle porte qui nous mènerait à une révolution écologiste, économique et démocratique suffisamment visionnaire pour nous permettre d’être fiers de nous dans 50 ans? Ou bien ne sera-t-il qu’une brindille prise dans le courant bien pensant du libéralisme économique mondial?

Si le PLQ de M. Couillard croit vraiment qu’il faille parler des vraies affaires, si M. Couillard veut laisser une trace marquante dans l’histoire du Québec, je crois qu’il doit se projeter plus loin que la simple durée de vie d’un gouvernement. Les libéraux ont la possibilité d’amorcer une nouvelle révolution tranquille, celle qui soutiendra la survie de la planète et même de l’humanité. Le feront-ils? En parleront-ils?

Nous, nous sommes prêts!

Et vous M. Couillard?

Louis Roy
Organisateur communautaire et ex président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)

 

Paru en version courte dans La Presse du 15 avril 2014

Voir aussi sur le Japon: http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140321trib000821608/pourquoi-nous-sommes-a-la-merci-des-discours-economiques.html

 

Montréal: défilé de la Saint-Jean en quête de sens… (24/06/2013)

40 degrés Celsius dans une rue bondée de familles décorées de fleurs de lys bleues, portant drapeaux et bouteilles d’eau. Les enfants ont chaud, les adultes s’étirent le cou, les plus vieux sont assis qui sur les gazons, qui sur le trottoir ou encore, pour les plus prévoyants, sur des chaises de toiles apportées spécialement pour l’occasion. Bières et rafraîchissements glacés ne résistent pas longtemps aux soifs sans fin qui s’abattent sur les montréalais. D’autant que c’est presque la vraie première journée d’été après ce printemps décevant côté température comme coté politique. Bref, tous ont envie de fêter cette St-Jean initiatrice de l’été ou cette Fête Nationale pour un peuple sans pays…

La parade! La parade! Le son des tambours au loin annoncent que l’attente est presque terminée: c’est parti! Deux policiers motards ouvrent le chemin, l’air de se demander ce qu’ils font là à retenir leurs machines, avançant au pas sous leurs habits imaginés pour l’hiver nordique. Puis de drôles de bêtes, descendantes de Pinocchio, s’avancent, manipulées assez adroitement par des citoyens volontaires mais transpirants. Le ballet de ces marionnettes géantes serait sans doute intéressant si nous savions ce qu’elles représentent! Bêtes oniriques plus près de Sesame Street ou de poupées vaudous surdimensionnées privées de leurs épingles, tous se demandent bien ce qu’elles tentent de nous dire en ce jour de fête «nationale»… Est-ce là le symbole du multiculturalisme canadien, assemblage informe de traits culturels pigés à gauche ou à droite? Ou plutôt représentent-elles l’inter culturalisme où ces zombies de toile ont apporté chacun leur bagage génétique, le mêlant maladroitement dans un tout inidentifiable? Le Wendigo? Ah! Peut-être… Mais s’identifie-t-il soudain à la Fête Nationale? Lui qui défend les Premières Nations contre le cannibalisme que les blancs ont tant pratiqué contre leurs cultures…

Danseurs, acrobates, chanteurs, musiciens… Le défilé se poursuit sous le soleil de plomb. Il faut vraiment lever notre chapeau à ces participants qui donnent le meiulleur d’eux-mêmes au risque d’une déshydratation rapide. La foule les apprécie et le leur fait savoir! Rapidement, les quelques politiciens obligés d’être présents nous envoient la main. En contrepartie, des gens ont écrit sur des pancartes et bannières ce qu’ils pensent de leur action sociale: non aux compressions dans la santé, dans l’aide sociale, «menteurs» et autres opinions plutôt acerbes. Quelques gardes du corps bien dressés, scrutent la foule, tels des hiboux déguisés en pies.

Quelques percussionnistes passent rapidement, suivis d’une bande de krishnas virevoltants. Que font-ils là ? Nul ne le sait. Le Québec compte-t-il plus de krishnas que de Rosicruciens ? Sont-ils devenus une communauté ethnique ? Une composante significative de notre société ? Pourtant ils ne sont qu’une branche un peu perdue de l’hindouisme occidental, pour ne pas dire une simple secte ayant eu son lot d’accusations pour mauvaise conduite.

Un défilé sans âme, sans sens de l’histoire, sans signification évidente. Les «géants», ces personnages historiques qui marquaient les défilés des dernières années, ont disparus. Trop chargés de signification sans doute pour un peuple dont la devise est «Je me souviens»… Un simple assemblage de gens qui cherchent à s’amuser dans la rue. Est-ce là suffisant pour nourrir une fête «nationale» ? Bien sûr il ne s’agit pas de faire une fête nationaliste qui exclurait la diversité culturelle et les origines diverses de ceux et celles qui composent cette «nation québécoise». Mais la représenter par des «bêtes oniriques» et des «krishnas» ? Ouch ! À force de diluer le sens on devient insignifiant !

24 juin 2013

Paru dans le quotidien montréalais Le Devoir, le 26 juin 2013 (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/381599/un-defile-sans-ame-sans-sens-de-l-histoire)