Archives de Catégorie: Politique québécoise

Journée nationale des Patriotes

Journée nationale des Patriotes

Mes ancêtres sont arrivés ici, lui comme soldat dans le Régiment de Carignan-Salières et elle comme Fille du Roy. Comme bien d’autres, ils fuyaient la pauvreté, la peste, la misère des paysans. Ils y étaient aussi poussés par l’appétit sans borne des rois qui n’en avaient que pour la conquête de territoires aux dépens de soldats, de pauvres gens, chairs à canon, kamikazes désignés sur des champs de bataille sanglants.

Suite à une traversée sans confort ni plaisir, ils construisirent des forts pour barrer la route aux Iroquois, un peuple fier qui ne faisait que défendre ses lieux d’habitation et de commerce, si petits sur un territoire si grand. Ils construisirent des cabanes pour loger leurs espoirs sur des terres devenues propriétés des communautés religieuses et des nouveaux seigneurs d’un pays à construire. Une fois la paix intervenue avec les premières nations, plusieurs choisirent de demeurer ici, dans ce qui leur semblait un paradis de liberté comparé aux campagnes françaises.

Plusieurs rencontrèrent la véritable liberté en côtoyant ces premiers habitants qui occupaient le territoire depuis des millénaires, y vivant très près de la nature. Ils y découvrirent une autre logique, une autre façon de vivre dans l’harmonie et dans la solidarité, en affrontant un climat aussi hostile qu’accueillant.

D’autres profitèrent des ressources naturelles pour développer une économie marchande qui fut récupérée plus tard par un autre envahisseur, les Anglais. La plupart s’installèrent dans le paisible mais difficile rôle de laboureurs, les femmes élevant une multitude d’enfants pour assurer la relève et la survie de la nation.

Pour tous, les difficultés furent nombreuses : maladies, sécheresses, froid brûlant, feux de forêts ou de leurs pauvres maisons. Mais pour eux, il n’était pas question de revivre la misère d’alors de leur pays natal. Ils s’enracinèrent ici, tant bien que mal, dans une résistance passive mais déterminée.

L’abandon par la France et la domination anglaise qui s’en suivit furent une raison supplémentaire de repli sur soi, sur sa religion, sa langue, sa culture. On leur permit une certaine liberté, illusion d’une enclave franco-catholique en Amérique protestante.

Aussi, lorsque les Patriotes tentèrent de réveiller ce peuple à nouveau soumis, de lui rappeler ce qu’était la liberté qu’ils étaient venus chercher ici, ils se butèrent à cette peur de devoir tout reprendre à zéro comme durent le faire des milliers d’Acadiens. Ceux qui voyaient l’avenir de ce peuple français en terre d’Amérique s’étioler et qui comprenaient que sans relever la tête elle finirait par tomber au sol, ceux-là tentèrent de soulever une rébellion qui incluait tout autant les immigrants anglophones opposés au roi d’Angleterre. Cependant, lutter contre cet empire ne pouvait réussir sans l’appui d’une autre grande nation. C’était un échec annoncé.

Mais, pour l’histoire, les échecs ne sont souvent que la semence d’une future victoire. Sans la rébellion de 1837, il n’y aurait peut-être pas eu cette remontée d’une nouvelle volonté de liberté dans ce qu’on a appelé la Révolution tranquille et ses suites politiques. Pendant plus de cent ans, on nous avait occulté ce pan de notre histoire, préférant nous parler de Madeleine de Verchères ou de Dollard des Ormeaux. Aujourd’hui, cette belle première journée d’été nous permet un repos bien mérité, alors que la renaissance de la nature peut inspirer autant les poètes que les militants pour un pays inclusif. Que cette Journée des Patriotes puisse nous rappeler un tant soit peu cette volonté de liberté et d’inclusion qui doit toujours nous guider.

Vive la Liberté!

Élections fédérales : La piscine à vagues!

Les cent premières années du Canada se sont déroulées dans une seule et unique atmosphère électorale, celle du bipartisme. Le pouvoir est donc passé des bleus aux rouges, puis des rouges aux bleus dans une alternance permettant un développement relativement comparable entre les régions du Canada. Les méthodes électorales étaient simples : promesses de routes et corruption du vote, le tout agrémenté de claques sur la gueule et de boîtes de scrutin à double fond. Avec l’ère de la rectitude politique, les partis politiques ont développé de nouvelles formes de tromperies pour le bon peuple : publicité négative, faux débats télévisés, enjeux identitaires faussés ou politiques de division ont pris la relève des batailles physiques. Mais les promesses et la corruption sont quand même demeurées des éléments constitutifs du système électoral uninominal à un tour. Les lobbyistes s’assurent maintenant que le système est bien graissé, mais légal…

Au Québec nous avons ajouté un ingrédient subversif aux élections fédérales, la souveraineté du Québec. Ainsi, dans les années 1960 et 1970, nous avons choisi d’ignorer la diversité canadienne pour la réduire à une vision bipolaire : les indépendentistes d’un côté et les méchants «canadian red necks» anti québécois de l’autre. Bien que l’exploitation des canadiens français par une élite anglophone fut une réalité incontestable de notre histoire, nous avons oublié qu’il y avait aussi au Canada les nations autochtones, les pêcheurs ancestraux de Terre Neuve, les acadiens des Maritimes, les franco ontariens, les métis et les francos des Prairies, les immigrants européens de l’est et les britanno colombiens plus intéressés par l’Asie et la Côte ouest américaine que par leurs lointains colocataires au Québec. Bref, nous avons oublié que le Canada «uni contre nous» n’existait pas. Du moins pas au point de créer chez ses habitants, coast to coast, une appartenance identitaire unique. Peut-être même que notre volonté de réinventer le Québec comme un pays souverain, a-t-elle permis, enfin, à un gouvernement central de définir ce qu’était ce Canada dans lequel ils voulaient vivre. Pierre Trudeau a pu alors se permettre d’écrire la recette de ce nouveau pays, vieux de plus de cent ans : une charte des droits, une forme de multiculturalisme courtepointe et une identité pacifiste internationale, sans parler d’une Constitution faussement rapatriée pour laquelle le Québec n’a pas eu son mot à dire.

Après 25 ans de polarisation politique, au début des années 1990, la deuxième défaite référendaire des indépendantistes avait été précédée d’une première vague électorale québécoise qui envoyait, du Québec à Ottawa, une majorité de députés «séparatistes». Cette sortie du bipartisme habituel allait marquer un tournant qui semble se poursuivre encore aujourd’hui. Plusieurs électeurs ont de plus compris que peu importe qui gouverne ce pays, ce ne sont pas les députés qui influencent l’avenir, ni même le chef de la formation politique majoritaire. Au pouvoir ou dans l’opposition, les politiques néolibérales continuent leur gros bonhomme de chemin, sans se préoccuper des gouvernements «locaux», si ce n’est pour leur soutirer encore plus de privilèges pour les banquiers, multinationales et financiers du monde. L’establishment n’est plus «canadian red neck», il est planétaire. Les élections locales ne servent donc qu’à choisir avec quelle intensité nous allons subir les contrecoups des crises économiques d’un système en folie, les problèmes de pollution et de dérèglement du climat, ainsi que les attaques à nos services collectifs et à nos conditions de vie au travail.

Vu comme ça, la fidélité à un parti n’a plus de sens. Il vaut mieux choisir celui qui nous fera le moins mal et nous permettra de vivre encore quelques années dans l’inconscience de ce qui nous attend. Ou, pour les plus optimistes, cela permet de préparer les conditions pour un jour changer le système de fou dans lequel nous vivons. Nous sommes entrés dans l’ère politique de la piscine à vagues! Et comme disait Bob Dylan en 1964, dans sa chanson The Time They Are a-Changing, il serait grandement temps d’apprendre à nager! «Then you better start swimmin’, Or you’ll sink like a stone.»

Louis Roy

Paru dans Le Devoir du 22 octobre 2015

À bas les boîtes postales communautaires!

13 août 2015 Journal Metro

13 août 2015
Journal Metro

Je ne suis pas particulièrement un admirateur du maire de Montréal, Denis Coderre. Je lui reconnais cependant une intelligence politique hors de l’ordinaire et un sens médiatique qui frise parfois le populisme. Aussi ne fus-je pas surpris de le voir, marteau piqueur à la main, démolir une dalle de ciment destinée à accueillir ces hideuses boîtes aux lettres, dites communautaires, de Postes Canada. Je me suis dit alors qu’il venait d’assurer sa réélection à la mairie en 2017! Rarement a-t-on vu un maire aussi représentatif de la pensée majoritaire de sa municipalité. Car, il faut bien le dire, l’installation de ces boîtes postales extérieures, en lieu et place de la livraison à domicile du courrier, exaspère la très grande majorité des montréalais. Non seulement les résidents tiennent-ils à la livraison à leur porte du courrier, non seulement l’installation de boîtes communes extérieures est-il impensable dans plusieurs quartiers, sans parler de leur laideur répugnante, mais juste le mépris de la population et l’intransigeance de Postes Canada suffisent à mobiliser le tout Montréal contre ce projet stupide.

Lorsque j’ai appris qu’un «citoyen» avait déposé une plainte à la police contre le maire Coderre pour ce geste illégal, j’ai tout de suite pensé que Postes Canada avait trouvé un chemin détourné pour mettre le maire dans l’embarras. Mais si ce n’est pas le cas, ce «citoyen» vient d’ouvrir une boîte de Pandore qui pourrait facilement augmenter la popularité du maire et rendre l’installation de ces boîtes maudites responsable d’une mini guerre civile entre les citoyens et une société «de la couronne». Peut-être que Postes Canada mesure mal l’hostilité des résidents envers ces boîtes et la relation particulière qu’ils entretiennent avec leur facteur. Ces gens qui «marchent la ville» quotidiennement, représentent pour plusieurs un marqueur du temps rassurant, même si parfois ils n’apportent que mauvaises nouvelles ou factures à payer. «Le facteur est-il passé?» est une question que se posent toutes les personnes qui passent leurs journées à domicile. Les courriels et textos ont beau avoir remplacé la plupart des envois postaux, la distribution du courrier à la porte constitue encore un événement quotidien qui nous relie concrètement au monde dans lequel nous vivons. Et ces liens sociaux qui diminuent constamment donnent encore plus d’importance à cette visite quasi quotidienne.

Personnellement je n’irai pas jusqu’à louer un bulldozer pour écrabouiller ces excroissances purulentes qui commencent à pousser dans notre ville. Mais j’avoue que ce n’est pas l’envie qui manque! Et si l’idée me traverse l’esprit, j’imagine que d’autres peuvent aussi y penser… Surtout que notre maire, qui déteste tant le désordre dans l’enceinte municipale et dans nos rues, a lui-même donné l’exemple de ce qu’il faut faire pour ramener Postes Canada au service concret des citoyens et citoyennes de notre ville… De toute façon, l’installation de ces laideurs urbaines ne passera pas comme lettre à la poste…

 Paru dans Le Devoir du 3 septembre 2015

Rapport Godbout : mise à mort de l’État social !

Au-delà des chiffres, des propositions et des objectifs avoués de la réforme proposée par M. Luc Godbout et son groupe de travail, il ne s’agit pas seulement ici de modifier telle mesure et d’en créer une nouvelle dans un autre domaine. D’ailleurs, le rapport nous propose un projet «global» qu’il ne faudrait pas appliquer à la pièce et encore moins dans lequel on pourrait choisir les quelques réformes qui font l’affaire de groupes de pression choisis.

Non, le rapport Godbout propose ni plus ni moins la fin du «welfare state», ce qu’ici on appelle l’État Providence. Cet État social, basé sur la juste contribution de ses membres, individus et entreprises, qui mettent en commun, selon leurs capacités, des services offerts à tous, sur tout le territoire et au meilleur prix. Ces services publics peuvent être gratuits ou à contribution unique pour tous; mais ils sont financés par un système d’impôt où, idéalement, la contribution varie selon la capacité de payer des contribuables (le mot dit bien en quoi consiste la fonction).

Les tenants du libre marché et d’une place privilégiée aux financiers et investisseurs, cherchent depuis longtemps à revenir au capitalisme primaire du début du XXe siècle. Ils combattent depuis lors toutes les mesures sociales auxquelles ils sont tenus de contribuer. Leur idée de base consiste à dire que la croissance économique, faite librement par des capitalistes égoïstes, créerait une telle richesse qu’elle retomberait d’elle-même sur toutes les couches de la population. Leur plus grand ennemi? Les impôts! Pourquoi? Parce que ce système les «taxe» d’autant plus qu’ils s’enrichissent. Or, les riches ne sont jamais assez riches et toute mesure qui vient réduire l’écart entre leur richesse et les revenus moyens du reste de la population les horripile. L’idéologie capitaliste n’a jamais créé une répartition juste de la richesse envers ceux et celles qui la produisent, les travailleurs et travailleuses, les créateurs, les artistes, etc.

Proposer de ramener les impôts à une proportion minimale des revenus de l’État, signifie que celui-ci ne sera plus un répartiteur de la richesse. Il n’aura plus la capacité d’imposer les choix collectifs pour l’existence de tel ou tel service. Il ne pourra plus utiliser sa capacité de «saisir» une juste part de la richesse produite auprès de ceux et celles qui s’enrichissent au détriment de la majorité. La seule option qui lui restera pour augmenter ses revenus, sera de taxer les utilisateurs de services ou les consommateurs de biens. Or, les riches sont les moins touchés par les taxes sur les biens et services, puisque la consommation de biens et services essentiels représente une part moins grande de leurs dépenses comparativement à une personne à revenu faible ou moyen.

On peut bien discuter longuement de la valeur des mesures proposées dans le rapport Godbout. Mais, fondamentalement, la véritable proposition qui est faite est celle de passer d’un État social à un État absent ou chétif; passer de citoyens à consommateurs; passer de la démocratie à une féodalité capitaliste.

Je ne veux pas de cet avenir pour mes enfants. Nous avons quitté la France royaliste il y a quatre cents ans et avons tenté d’établir ici une société plus juste, moins hiérarchique. Nous sommes sortis de la misère et de la grande noirceur depuis à peine soixante ans. Depuis, nous nous sommes donné un État social inachevé mais fonctionnel. Oui il faut le rendre plus conforme à nos attentes. Oui, il faut le financer adéquatement pour éviter l’endettement systématique. Mais il faut surtout partager entre toutes les composantes de la société, individus comme entreprises, le coût de cet investissement collectif qu’est l’État social. Faire sa juste part? Il n’y a que l’impôt qui peut permettre d’y arriver.

Louis Roy

Ex président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Paru dans le Journal de Montréal, le 27 mars 2015

Projet de loi 3* à la sauce Chili 29 août 2014

Maintenant que la commission parlementaire sur le projet de loi 3, modifiant les régimes de retraite des employés municipaux du Québec, est terminée, la réflexion doit s’élargir sur l’impact d’une telle loi sur la retraite future de tous les Québécois.

Au vingtième siècle, les notions de redistribution plus égalitaire de la richesse, de services publics et de conditions minimales de travail ont vu le jour après la grande dépression de 1929. Elles se sont concrétisées plus particulièrement après la deuxième grande guerre; ici, au Québec, c’est ce qu’on a appelé les «trente glorieuses» où s’est mis en place l’État social lors de la Révolution dite tranquille. Dans cette période, fin des années quarante jusqu’au début des années quatre-vingt, les syndicats ont fait partie de toutes les batailles visant à donner à la population des possibilités accrues d’un meilleur niveau de vie, de la naissance à la mort. Conditions de travail sécuritaires, salaires, retraites, systèmes publics d’éducation et de santé, garderies et participation citoyenne à la vie démocratique font partie d’une série de gains importants arrachés à une autre vision du monde axée sur l’accumulation de la richesse entre les mains de quelques uns aux dépens de la collectivité.

Pays totalitaires

Mais les tenants du capitalisme et du néolibéralisme n’ont jamais pour autant jeté la serviette! Pour eux, les terreaux fertiles ne manquaient pas. Surtout dans les pays totalitaires! Ainsi, début des années soixante-dix au Chili, les disciples néolibéraux de Milton Friedman, formés à l’Université de Chicago, ont-ils conjugués leurs efforts avec ceux d’Augusto Pinochet pour créer une économie purement néolibérale, imposée par la force à toute la population d’un pays tout autant au bord de la modernité que nous l’étions alors. Trois principes de base soutiennent la pensée des «Chicago boys» :

  • réduction du rôle de l’État au profit du secteur privé par l’ouverture de tous les marchés à la «libre concurrence»;
  • réduction ou annulation de l’influence des organisations syndicales;
  • disponibilité d’une main d’œuvre sous payée, sans droits, avec le strict minimum pour vivre et la nécessité de travailler jusqu’à sa mort, donc sans revenus décents à la retraite.

Les mesures pour y arriver furent draconiennes : privatisation des services publics, élimination, au propre comme au figuré, des opposants syndicaux et progressistes, diminution substantielle des régimes de retraite et privatisation de leur gestion.

Le projet de loi, sur les régimes de retraite des employés municipaux, relève de la même logique, cachée sous diverses formules populistes dont celle de la «capacité de payer». Comme nous ne sommes pas sous le joug d’une dictature, la voie choisie par le gouvernement est plus insidieuse et relève d’une stratégie étapiste qui n’en mènera pas moins aux mêmes résultats. D’ailleurs, tous les gouvernements québécois s’en sont servi dans les trente dernières années. Ainsi la crise économique du début des années quatre-vingt a servi d’excuse au gouvernement Lévesque pour limiter considérablement l’indexation des prestations de retraite et réduire les salaires de la fonction publique. La crise du début des années quatre-vingt-dix a ouvert la porte à la glissade des salaires du secteur public qui, de comparables au secteur privé qu’ils étaient, sont maintenant en net recul selon l’Institut de la statistique du Québec.

Vision plus large

Le projet de loi 3 ne peut et ne doit pas être analysé séparément d’une vision large et à long terme du type de société dans laquelle nous voulons vivre. Il y a sans doute, parmi les politiciens engagés dans ce débat, des individus qui honnêtement croient y régler la pérennité des régimes à long terme. Le long terme se limitant à la prochaine crise économique mondiale… Il y a sans doute aussi plusieurs syndiqués qui ne sont mobilisés qu’en fonction de leur propre prestation de retraite. Ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur talon de paie continueront à s’amuser en se donnant en spectacle à un peuple qui n’en peut plus de se sentir floué par le système économique sans que personne ne lui explique les tenants et aboutissants de sa propre diminution du niveau de vie. La frustration d’avoir été gouverné par des profiteurs ou des incapables, doublée par l’inexistence de projet collectif porteur d’espoir, risque d’amener la population à jeter le bébé avec l’eau du bain dans la question complexe des régimes de retraite…

D’autant que peu de régimes de retraite sont accessibles à la population et ceux qui existent sont loin d’être en or! Ainsi le RREGOP qui couvre la très grande majorité des employés de l’État, donnait-il en moyenne $19,000 par an en 2013. Et la plupart des régimes sont ajustés à la baisse lorsqu’on reçoit le Régime des rentes du Québec. De plus, si les prestations sont aussi basses, c’est que presque tous les régimes de retraite avaient tenu pour acquis que les services de santé seraient gratuits jusqu’à notre décès. Ce qui n’est plus tout à fait le cas et à risque de privatisations futures… Déjà les Walmart et RONA de ce monde engagent de plus en plus de personnes «à la retraite». Un tiers des Québécois de 55 ans et plus travaillaient en 2011. Et la tendance, qui semble être à la hausse, ne diminuera pas si les prestations de retraite sont réduites dans le futur. Les femmes, qui ont fait double emploi auprès de leurs enfants tout en travaillant, continueront à être mises à contribution encore plus! D’abord auprès de leurs parents vieillissants, puis lors de leur «retraite» à cause de revenus moindres, sans parler de leur longévité plus grande qui les forcera à le faire encore plus longtemps…

Résister au démantèlement

D’ici à ce qu’on nous propose des choix collectifs permettant une organisation sociale soutenue par une économie axée sur les besoins humains, le respect de l’environnement et une possibilité de vivre dignement jusqu’à la fin de nos jours, nous ne pouvons souscrire au démantèlement à la pièce des outils mis en place pour améliorer le sort des travailleurs municipaux. Il est donc du devoir des organisations syndicales et des tenants d’une société plus juste de résister fermement à ces attaques. Les tenants du néolibéralisme attendent patiemment que des brèches s’ouvrent dans le mur social qui permet une meilleure redistribution de la richesse.

Il a fallu quarante ans au Chili pour recommencer à mettre en place timidement des mesures sociales abolies jadis par les néolibéraux. Si les employés municipaux lâchent du lest, nous nous engageons sur une pente glissante avec peu d’espoir à court terme pour la retraite de toutes les Québécoises et tous les Québécois.

Louis Roy

Ex-président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Texte paru à demi dans la version papier du quotidien Le Devoir le vendredi 29 août 2014 et en version intégrale sur leur site web: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/417084/projet-de-loi-3-a-la-sauce-chili

*Projet de loi 3: Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal

La politique comme je la déteste!

Depuis huit mois, en fait depuis la proposition de charte des valeurs, je me suis abstenu d’intervenir publiquement sur les partis politiques et leurs discours. Pendant la campagne électorale qui vient de se terminer, seule l’intervention curieuse d’anciens présidents de la CSN en appui à la candidature de Pierre-Karl Péladeau m’a poussé à une sortie publique. Non pas que je sois décroché de l’actualité québécoise et encore moins que j’aie décidé de me bercer sur la galerie en regardant les wagons de pétrole passer. J’avais plutôt l’espoir qu’une nouvelle génération militante prenne la relève et que les questions de l’avenir de la planète, de la réduction des inégalités et de la démocratie participative soient au devant des réflexions politiques collectives.

Depuis huit mois, tout le paysage politique québécois a, bien au contraire, porté sur des sujets tout aussi futiles que le choix de la valse à jouer sur le pont du Titanic le soir de son naufrage. Doit-on limoger une infirmière qui refuserait d’enlever son voile? Doit-on avoir peur de l’expression démocratique d’un peuple lors d’un référendum? Doit-on mettre des péages sur un des ponts qui relie Montréal au «continent»? Doit-on avoir plus de GMF, de PPP? Doit-on fouiller le sol à la recherche de pétrole à Anticosti? Doit-on faire du ciment en Gaspésie? Oui, je dis que tout cela est futile! Futile pour éclairer le choix d’un gouvernement responsable de ce que nous laisserons comme véritable héritage à nos enfants. Non pas que le prochain gouvernement ne doive pas répondre à ces questions qui préoccupent la population au quotidien. Mais au-delà de ces sujets, pour choisir ceux et celles qui vont nous diriger, ne devrions-nous pas regarder ce qui nous attend si nous continuons sur la même voie?

Quand le Fonds monétaire international (FMI), une organisation au cœur du développement capitaliste de la planète, pose la question de l’écart entre les plus riches et le monde ordinaire et propose de s’y attaquer pour le réduire; quand ce même FMI remet en question la taille démesurée des banques et les considère comme un danger pour la stabilité économique et politique de la planète; quand le Groupe Intergouvernemental d’experts de l’ONU sur l’Évolution du Climat (GIEC) nous rappelle encore une fois que le dérèglement climatique met en danger la survie même de l’humanité; quand Jean Lemire, capitaine du bateau SEDNA et environnementaliste apolitique, nous lance un cri du cœur à l’effet que la production de la richesse ne signifie pas du tout son partage équitable et encore moins l’utilisation responsable des ressources; quand même la NASA lie inégalités sociales à disparition de l’humanité, etc. Quand tout cela devrait préoccuper au moins ceux et celles qui nous dirigent, de quoi nous parlent nos politiciens? De sujets qui visent à leur faire obtenir un vote de plus; électoralisme à la carte, dans un monde qui a plutôt besoin d’une direction intelligente et qui nécessitera des choix éclairés mais difficiles sous peu.

D’ici 50 ans, il nous faudra trouver un autre modèle économique, basé sur la coopération plutôt que sur la concurrence, une économie qui devra redéfinir la notion de développement économique et qui soustraira l’impact à long terme sur l’environnement de la supposée richesse produite. Il nous faudra développer des façons de produire l’énergie sans aggraver le dérèglement climatique. Il nous faudra nourrir encore plus d’humains avec moins de fertilisants, avec des mers où les poissons semblent de plus en plus incapables de se reproduire. Il nous faudra rendre accessible une eau potable plus rare à des populations de plus en plus assoiffées. Il nous faudra lutter contre des épidémies dues à l’adaptation des virus et bactéries alors que le vieillissement des populations les rendra plus vulnérables.

Loin de moi l’idée d’être alarmiste et encore moins prophète de malheur. Au contraire! J’y vois des défis stimulants pour des populations instruites et sures d’elles-mêmes. Mais pour y arriver il faut s’y mettre dès maintenant : rendre l’instruction encore plus accessible, investir dans la recherche fondamentale, prendre des mesures concrètes soutenant les énergies renouvelables, partager encore mieux les richesses, rapprocher le pouvoir des citoyens, penser nos villes, nos pays, en fonction des bouleversements climatiques (montée des eaux, de la chaleur, nécessaire accroissement du verdissement et de l’autonomie alimentaire locale) etc.
Je n’ai pas entendu grand ’chose de tout cela depuis huit mois. Bien sûr quelques partis politiques et certains candidats se sont exprimés dans ce sens. Mais le principe de la «ligne de parti» de ceux qui s’échangent le pouvoir depuis des décennies ne va pas dans ce sens. Le pouvoir planétaire a été accaparé par des «riches» en argent, mais «pauvres» en vision d’avenir. Au Québec, au Canada, nous ne faisons pas exception. Depuis huit mois, je ne vois que des politiciens faire de la politique comme je la déteste!

Dans les années 1960, c’est le Parti Libéral du Québec qui a ouvert la porte à une sortie de la grande noirceur économique et intellectuelle qui paralysait le Québec. Depuis 40 ans, la question nationale a accaparé beaucoup d’énergie politique. Maintenant que les québécois ont encore une fois tourné le dos à l’idée d’indépendance et que le Parti Libéral du Québec a repris le pouvoir, serait-il en mesure d’ouvrir une nouvelle porte qui nous mènerait à une révolution écologiste, économique et démocratique suffisamment visionnaire pour nous permettre d’être fiers de nous dans 50 ans? Ou bien ne sera-t-il qu’une brindille prise dans le courant bien pensant du libéralisme économique mondial?

Si le PLQ de M. Couillard croit vraiment qu’il faille parler des vraies affaires, si M. Couillard veut laisser une trace marquante dans l’histoire du Québec, je crois qu’il doit se projeter plus loin que la simple durée de vie d’un gouvernement. Les libéraux ont la possibilité d’amorcer une nouvelle révolution tranquille, celle qui soutiendra la survie de la planète et même de l’humanité. Le feront-ils? En parleront-ils?

Nous, nous sommes prêts!

Et vous M. Couillard?

Louis Roy
Organisateur communautaire et ex président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)

 

Paru en version courte dans La Presse du 15 avril 2014

Voir aussi sur le Japon: http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140321trib000821608/pourquoi-nous-sommes-a-la-merci-des-discours-economiques.html

 

Tragédie de L’Isle Verte: 44 ans plus tard, un second Notre-Dame du Lac.

La vieillesse : notre futur à tous!

2 décembre 1969. Un vieil édifice en bois, au cœur d’un magnifique village du Témiscouata, est la proie des flammes. Ancien hôtel transformé en maison de chambres, le bâtiment est une perte totale. Cette nuit-là, «Le Repos du Vieillard» deviendra le repos éternel pour trente-huit résidents âgés. Parmi eux, mon grand-père Ludger Roy. Un fier bûcheron de plus de 70 ans, droit et fort comme les arbres qui l’ont accompagné toute sa vie. Les noisettes qu’il gardait sous son lit de fer, dans des boîtes à chaussures, et qui faisaient notre régal lors de nos visites estivales, seront un souvenir que je conserverai de cette «cellule» dans laquelle il dormait. Cette «chambre», était tout près de l’escalier extérieur au bout de l’édifice et bien qu’il ne fût pas un des «patients» attachés à leur lit pour cause de démence, mon grand-père n’a pas survécu à cette catastrophe. On l’aurait, semble-t-il, vu à l’extérieur du bâtiment au tout début de l’incendie. Est-il retourné à l’intérieur pour aider ses colocataires ou pour chercher le peu de biens qu’il avait conservé précieusement? Nous ne le saurons jamais.
La seule certitude que nous aurons, c’est que cet édifice n’aurait jamais dû héberger nos «vieillards». Pas seulement parce qu’il était vétuste. Mais parce qu’il était mal administré. Celui qui sera accusé et condamné pour avoir mis le feu au bâtiment était lui-même un des soixante-dix résidents, homme à tout faire «bénévole»… Un «irresponsable»; mais d’autres étaient tout aussi irresponsables des conditions d’hébergement et de l’absence de service aux résidents dans le besoin. Un «nique-à-feu» et une «machine à faire de l’argent». Exploitation des plus démunis de notre société ; face cachée d’une société où vieillir est une tare et où on peut faire de l’argent avec la misère des autres.
Cette tragédie aura sans doute servi à accélérer la mise en place de centres d’accueils publics pour les personnes âgées au Québec. Elle aura aussi secoué le monde des foyers et hospices privés par la mise en place de normes d’inspections municipales et gouvernementales. À partir de 1970, les conditions d’hébergement, de soins et de services publics ont permis d’améliorer grandement la vie de nos personnes âgées.
Quarante-quatre ans plus tard, nous voici avec une autre tragédie dans une résidence de personnes âgées. Trente-deux aînés disparus à l’Isle Verte. La communauté, tissée aussi serrée qu’à Notre Dame du Lac, s’en remettra malgré les cicatrices indélébiles que laissera cette tragédie. Je souhaiterais que tout comme lord de l’incendie de 1969, tous ces morts servent à déclencher une réflexion sur la place de nos aînés dans la société. Et pas juste pour savoir s’il faut des gicleurs et plus de personnel dans nos résidences pour aînés. Cela me semble quelque chose qui va de soi et aurait déjà dû être fait depuis longtemps.
J’avais 16 ans quand mon grand-père est mort tragiquement. Une colère m’habite depuis. Une colère envers notre laisser-aller collectif, envers des politiciens incapables de soutenir les années de fin de vie de la population; une colère envers ces exploiteurs de la misère, de la vieillesse, de la fragilité de ces corps usés.
«Parquer» nos aînés dans des résidences mouroirs, fussent-elles belles, accueillantes et sécuritaires, constitue envers eux un mépris de leur apport collectif, de leurs capacités intellectuelles et artistiques. Cacher la vieillesse sous le tapis n’empêchera personne de vieillir. Vieillir c’est le futur de tous. Autant préparer une meilleure place dans la société à ce qui nous attend tous et toutes!

Louis Roy
Ex président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
27 Janvier 2014
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/398343/la-vieillesse-notre-avenir-a-tous