Le choc!
À l’été 2021, alors que je reposais mes yeux urbains en admirant les balbuzards plonger avidement dans la baie de Shippagan, j’ai reçu le résultat du test ADN pour les chromosomes Y que j’avais commandé chez FamilyTree quelques semaines plus tôt. On m’y classait dans une autre lignée que celle d’Antoine Roy dit Desjardins. Je crus d’abord à une erreur jusqu’au courriel de M. Denis Savard, coadministrateur du groupe ADN_Héritage_Français sur FamilyTree. Celui-ci m’expliquait tout bonnement qu’en classant mon échantillon il réalisait que nous étions cousins (par ma grand-mère maternelle) et que du côté de mon père il allait me ranger dans les familles Laberge! Un événement non parental (ÉNP) était de toute évidence responsable de ce changement dans ma lignée paternelle! Si cela semblait «tout naturel» pour lui, ça ne l’était pas pour moi! Je n’étais donc plus un Roy, mais un Laberge! Choc «génético-généalogique»! D’autant que je m’évertue depuis quelques années aux recherches soutenant l’écriture d’un roman historique sur la vie de «mon» ancêtre Antoine Roy dit Desjardins!
Bien sûr, la généalogie et la génétique sont deux disciplines distinctes, bien qu’apparentées (!). Comme me l’écrivait mon ami Pierre Le Clercq, président de la Société généalogique de l’Yonne, « … tu es véritablement un Roy, puisque ce sont eux qui ont recueilli ton ancêtre et influé sur sa vie… ». Pierre me faisait aussi remarquer que le père d’Antoine, Olivier Roy, a lui aussi été déclaré illégitime lors de son baptême et qu’il a reçu le patronyme Roy d’un homme qui n’était peut-être pas son père biologique…
La stupeur ayant fait place à la curiosité, je me suis attablé à comprendre ces résultats inattendus et à chercher où, dans mon arbre généalogique, avait bien pu se produire cette distorsion généalogique. M. Denis Savard m’a beaucoup aidé à cibler mes objets de recherche et m’a suggéré de pousser les analyses ADN un peu plus loin (Big Y de FamilyTree) afin de tenter de mieux cerner où avait pu se produire cet ÉNP…
La recherche
Selon les données ADN, l’ÉNP se serait produit à quatre ou cinq générations de ma naissance. J’ai donc identifié les ancêtres concernés avec leurs dates de conception, l’âge de leurs mères et leurs lieux de résidence lors de la conception. J’ai donc remonté mon ascendance agnatique jusqu’au fils d’Augustin Lazare Roy dit Lauzier (1723), soit Clément Roy dit Lauzier (1767-1825). En effet, M. Savard me confirmait qu’Augustin Lazare Roy avait été exclu de cet ÉNP par une triangulation génétique entre un de ses descendants et les autres Roy liés à Antoine. Il fallait donc chercher parmi ses descendants.
Mais pour être quand même rassuré, j’ai commencé par ma mère. À quatre-vingt-dix-huit ans, elle a une excellente mémoire. Elle m’a donc assuré que mon père biologique était bien celui qui était son époux et qu’aucun Laberge ne pouvait donc être responsable de cette situation. Cela réglait donc la question plus personnelle de cet ÉNP!
Voici le tableau des autres ancêtres sur lesquels je devais enquêter :
Comme on le voit, plusieurs de mes ancêtres (2, 3, 5 et 6) ont été conçus dans la période de fin d’année. Cette période était propice aux rencontres familiales et aux échanges paroissiaux. Par ailleurs, ces périodes étaient moins propices aux longs déplacements.
Pour chacun d’eux, j’ai consulté les recensements accessibles, les registres paroissiaux et provinciaux ainsi que les arbres généalogiques publics sur plusieurs sites généalogiques. J’y ai recensé toutes les familles Laberge et identifié tous les hommes en âge de procréer. J’ai aussi reconstitué les arbres généalogiques de la quinzaine de Laberge que FamilyTree et Ancestry ont lié à ma génétique. J’ai ensuite croisé ces données pour tenter d’en faire ressortir des concordances. J’aurais aimé pouvoir aussi trouver des familles, vivant près des familles Roy, qui avaient des Laberge dans leur parenté. Mais cela demandera une étude plus poussée que quelqu’un d’autre aura peut-être la patience de faire… En effet, les noms de familles des épouses Laberge, sont très variés et couvrent un très large spectre des familles québécoises du 18e et 19e siècles. Des Laberge auraient effectivement pu visiter de la parenté du côté de leurs mères ou grand-mères, dans les villages de Cacouna, Kamouraska, La Pocatière ou Notre-Dame-du-Lac et y rencontrer les épouses des Roy…
Génération 1 : Charles Roy (1918-2000)
Mon père était enfant unique et sa mère est décédée à dix-neuf ans de la grippe espagnole. Elle vivait dans un petit village isolé du Nouveau-Brunswick, où je n’ai recensé aucun homme du nom de Laberge, et ma grand-mère s’étant mariée à dix-sept ans avec mon grand-père Ludger, son voisin, j’ai exclu cette hypothèse. Évidemment la possibilité existe et mon grand-père n’ayant pas eu d’autre enfant déclaré, il serait impossible de comparer mon ADN avec celui de cousins de cette branche. Si l’ÉNP s’est produit à cette génération, nous ne le saurons jamais. À moins que cet éventuel Laberge ait eu d’autres enfants et que ceux-ci passent des tests ADN chez FamilyTree…
Générations 2 à 6 : de Ludger à Clément
Aucun Laberge n’a été recensé dans les comtés du Témiscouata, Kamouraska et Rimouski, dans les recensements de 1851, 1881 et 1891. Malheureusement, le recensement de 1842 est très incomplet et je n’y ai recensé que onze familles Laberge «près» de Rivière-du-Loup, soit à Québec et à La Malbaie. À Québec on n’indique parfois que l’initiale du prénom qui est même illisible dans un cas. À La Malbaie, Joseph a cinq enfants, André a refusé de répondre au recenseur et la femme d’Anselme a fait de même! Il me reste du travail à faire pour cette période, mais ce recensement ne m’a pas beaucoup aidé.
Dans le recensement de 1881[1], plusieurs jeunes hommes Laberge sont qualifiés de «voyageurs». Lors de ce recensement, on attribuait le terme voyageur aux personnes absentes du foyer qui étaient fort probablement au travail à l’extérieur et qui comptaient revenir dans ce même foyer. Il s’agit sans doute de travailleurs saisonniers (bûcherons, journaliers et autres) ou encore de marchands itinérants. Un de ces jeunes hommes aurait évidemment pu croiser la mère de mon grand-père à Notre-Dame-du-Lac, lieu de passage de plusieurs travailleurs de la forêt situé entre le Québec, le Maine et le Nouveau-Brunswick.
J’ai donc consulté des centaines d’occurrences, dans ces recensements, pour les comtés de Montmagny-L’Islet, Québec, L’Ange-Gardien et Charlevoix. Parmi ces Laberge, j’ai porté attention à ceux qui apparaissent dans les généalogies d’au moins une des personnes qui me sont liées génétiquement selon FamilyTree ou Ancestry. Pour ce faire, j’ai dû reconstituer les généalogies complètes de ces personnes. Ces liens mènent évidemment aux mêmes ancêtres que sont les trois fils de Robert Laberge et Françoise Gausse, soit François (1669), Nicolas (1672) et Guillaume (1674).
Tableau des hommes Laberge, en âge de procréer (20 à 50 ans), ayant été recensés dans un rayon de 200 km des familles Roy concernées.
Hypothèses temporaires, suite à cette première vague de recherches.
Je ne ferai pas ici le compte rendu de toutes les recherches, analyses et hypothèses que j’ai faites depuis l’automne 2021. Mais, pour l’instant, compte tenu du peu de données ADN disponibles concernant les Roy et les Laberge, voici les premières hypothèses sur lesquelles je poursuis mon travail de recherches, principalement du côté des contrats notariés et des histoires familiales publiées.
- Pour les tests ADN disponibles sur FamilyTree et Ancestry, 93% de mes liens génétiques avec des Laberge, mènent à Guillaume Laberge (1674-1729). Le reste mène à Nicolas Laberge (1672-1700); aucun ne mène au troisième fils de Robert Laberge, François.
- Si l’ÉPN concerne Clément Roy dit Lauzier (1767-1835), sept hommes Laberge vivaient «à proximité» d’Angélique Lizotte (1732-1817) lors de la conception de Clément. Angélique avait alors trente-cinq ans, était mariée depuis quatorze ans et Clément était son huitième enfant. Le premier suspect est Nicolas Laberge (1719), lui-même descendant de Nicolas fils de Robert; âgé alors de quarante-huit ans, il était bien établi comme cultivateur près de Montmagny. Les six autres hommes sont des descendants de Guillaume Laberge et vivent à l’Ange-Gardien. Trois étaient fils d’un autre Charles Laberge (1699-1759) qui exerçait les métiers de cultivateur et de voiturier. À ce titre, il convoyait personnes et marchandises, sans doute en bateau, le long des côtes du Québec d’alors. Lui et ses fils auraient donc pu se déplacer vers La Pocatière et avoir des contacts avec Angélique. Ceci ajoute trois suspects possibles : Charles (1728), Jacques (1739) et Pierre (1745). Les trois autres hommes possibles sont des hommes bien établis, mariés et pères de plusieurs enfants.
- Si l’ÉPN concerne Clément Roy dit Desjardins (1790-1871), près d’une vingtaine de Laberge auraient pu côtoyer sa mère, Marie-Anne Gagnon (1768-1856), qui avait alors vingt-deux ans et était mariée depuis à peine deux ou trois mois lors de la conception de ce premier enfant, Clément. Parmi tous ces Laberge, deux sortent du lot à cause de leurs mariages tardifs. Louis Laberge (1757-1834) avait trente-deux ans lors de la conception de Clément. Célibataire, il ne s’est marié qu’en 1795, avec une célibataire de trente-trois ans, avec qui il a eu quatre enfants vivants. Joseph Laberge (1767-1822) avait environ vingt-deux ans lors de la conception de Clément. Il épousera une veuve de vingt-sept ans, sans enfants, en 1801, à l’âge de trente-quatre ans et ils auront plus de dix enfants ensemble. Un autre suspect est François Laberge (1769-1838). Il a presque vingt-et-un ans lors de la conception de Clément. On ne trouve aucune trace de lui avant 1797 à St-Hyacinthe où il épouse, à vingt-huit ans et en premières noces, une jeune fille de dix-neuf ans.
Conclusion
J’ai retenu l’idée que l’événement non parental dans mon arbre généalogique s’était produit à la cinquième génération. Mon père, mon grand-père, son grand-père et le père de celui-ci, ne me semblaient pas offrir les conditions propices à ce genre d’événement compte tenu de plusieurs éléments trop longs à expliquer ici. Évidemment, on ne peut exclure à priori l’hypothèse que l’ÉPN se soit produit lors de leurs naissances. Tout comme toutes les pistes évoquées ici ne sont peut-être que pures spéculations totalement fausses! Si vous êtes un homme, descendant direct des fils d’Augustin (1723), des fils des Clément (1767 et 1790), ou des familles Laberge citées ci-dessus, je vous encourage à passer un test chez FamilyTree-DNA (Y-37 au minimum). Si vous voulez tout simplement aider à élucider ce mystère, vous pouvez aussi contribuer en commanditant des tests pertinents par le projet Héritage Français (bouton Donate au https://www.familytreedna.com/groups/frenchheritage/about), en prenant soin d’indiquer que les fonds sont destinés à l’étude de la «lignée Laberge dite Roy à Clément».
D’ici à ce que plus de tests de Roy et Laberge soient disponibles dans les bases de données ADN, je poursuis en parallèle mes recherches sur ces Laberge qui ont perturbé mon arbre généalogique, tout en continuant l’écriture romancée de la vie d’Antoine Roy dit Desjardins, MON ancêtre! Jusqu’à preuve du contraire…
Louis Roy, Mars 2022
NOTES SUPPLÉMENTAIRES
Selon le PRDH, voici les descendants des ancêtres potentiellement concernés par cet événement non parental:
Fils d’Augustin Roy Desjardins dit Lauzier (1723) : Joseph-Augustin (1754), Etienne Benoît (1759), Prosper (1762), Clément (1767), Jean-Marie (1769), Pierre Nicolas (1772) et Jean-Baptiste (1775).
Fils de Clément Roy dit Lauzier (1767) : Clément (1790), Pierre-Antoine (1795), Augustin (1798), Stanislas Wenceslas (1800), Joseph Prudent (1802), Fulgence (1804) et Etienne (1807).
Fils de Clément Roy dit Desjardins (1790) : Clément (1813), Thomas (1818), Robert (1823), Jean Anthime (1825), Bruno (1826), Edouard Elzéar (1832) et Charles Félix (1837).
Fichiers ADN chez ANCESTRY:
Vous pouvez transférer chez FamilyTree le résultat de votre test ADN effectué chez Ancestry. Cependant il s’agit d’un test autosomal seulement et il ne permet pas de distinguer les variations sur le chromosome masculin Y. Les hommes qui font ou transfèrent leur test chez FamilyTree, peuvent ensuite acheter une analyse DNA-Y 37 (au minimum) pour vérifier une possible appartenance à la lignée Roy ou Laberge.
Tests ADN les plus fréquents sur le marché américain:
L’analyse autosomale de l’ADN (test autosomal DNA) permet de relier votre ADN aux personnes qui sont parentes avec vous, du côté de votre mère ou de votre père (c’est le cas du test offert chez Ancestry). L’analyse mitochondriale de l’ADN (mtDNA test) permet de cibler les personnes qui vous sont apparentées de par votre mère seulement (matrilinéaire). L’analyse du chromosome Y, chez les hommes, (Y DNA test) permet de cibler les personnes qui vous sont apparentées de par votre père seulement (patrilinéaire). Voir, entre autres, Wikipedia Test ADN généalogique.
CONFIDENTIALITÉ ADN
L’utilisation des bases de données génétiques ne sera jamais à l’abri d’une utilisation autre, par les gouvernements ou les pharmaceutiques par exemple. Chez FamilyTree DNA, votre analyse n’est identifiée que par un numéro, lié à une adresse de courriel et une adresse physique. Cela ne garantit pas tout évidemment. C’est une question très débattue dans le monde généalogique et chacun évalue le «risque» qu’il est prêt à assumer pour faire des liens génétiques avec sa généalogie…
Paru originellement dans: Article Les Souches Vol 27 No 1 2022 Un Roy est il nécessairement un Roy ?
[1] Le recensement de 1881 a débuté en avril 1881. Les chantiers en forêt étaient encore en activité à cette date.