Archives mensuelles : août 2023

Une autre réforme de la santé au Québec? Triste, très triste…

Projet de loi 15 : Je suis triste pour le ministre…

Eh oui, je suis triste pour le ministre Christian Dubé, mais pas seulement pour lui. Je pense d’abord aux milliers de travailleuses[1] du réseau de la santé et des services sociaux qui, après avoir été des anges gardiennes pendant la pandémie, se voient aujourd’hui exclues des nécessaires modifications à apporter à ce réseau si mal aimé par plusieurs des précédents gouvernements.

Je suis triste aussi pour les médecins qui se voient toujours accusés de nuire à la flexibilité des soins. Même si souvent, leur appétit pécuniaire et l’organisation de leur travail nuisent au concept d’équipe multidisciplinaire, les accuser, les culpabiliser ne me semble pas le meilleur moyen de les faire participer à la mise en place de solutions qui, de toute façon, nécessitera leur participation et idéalement leur adhésion aux solutions mises de l’avant.

Je suis surtout triste pour les usagères des services publics et la population du Québec qui voit sans cesse des apprentis sorciers promettre sans résultats, l’accès à des services de proximité, facilement accessibles et de qualité, partout sur le très grand territoire du Québec.

Je suis triste parce que j’ai toujours été critique de l’organisation du travail et de la bureaucratie de ce réseau à qui j’ai consacré l’essentiel de ma vie. Je suis triste parce qu’avec d’autres nous avons proposé de multiples solutions pour améliorer à la fois les conditions de vie au travail de celles qui y œuvrent et à la fois la reddition des services. Chaque fois, on nous a répondu par des notions mécaniques d’efficience, de réductions de coûts et de personnel (pour le déficit zéro…),  de réformes organisationnelles des établissements et même par des transformations majeures des structures syndicales, ce qui ne devrait pas appartenir à un gouvernement employeur.

Je suis d’autant plus triste que le ministre Christian Dubé s’était attiré un capital public de sympathie par son air débonnaire, quoique déterminé. Contrairement à plusieurs ministres avant lui, M. Dubé aurait pu utiliser cette force politique pour amener les parties prenantes du réseau à s’asseoir et à véritablement chercher à guérir les maux qui affligent ces services si essentiels. Quoi qu’on en  dise, nous étions toutes prêtes à revoir les façons de faire pour y trouver une satisfaction au travail et des services publics améliorés autant du côté humain que du côté efficacité.

Mais voilà, le ministre a plutôt choisi d’écouter ceux qui pensent qu’il suffit de donner un autre coup de pied dans la fourmilière pour que tout se réorganise selon leur bon vouloir. La dernière réforme a transformé les travailleuses en numéros, voilà qu’on veut les transformer en fourmis, surveillées par des tableaux de bord informatisés, mis à jour aux deux heures et analysés par une intelligence artificielle sans âme.

Même si le ministre prétend le contraire, nous allons assister à une centralisation accrue de la gestion du personnel et de leurs organisations syndicales. Avoir des administrations imputables dans chaque installation, soumises à une entité provinciale,  ne constitue en rien un gage d’amélioration des conditions de vie au travail du personnel et ne donnera pas à la population des services mieux adaptés à ses besoins locaux.  L’organisation du travail et des services doivent relever des parties locales et celles-ci doivent avoir le pouvoir de s’entendre sur les façons de faire. Santé Québec et les quatre énormes syndicats, éventuellement créés par le projet de loi 15, seront à mille lieues des réalités des travailleuses et des populations locales et des nécessaires ajustements rapides à faire pour que tout le monde y trouve son compte.

Plusieurs sont tellement blasés par ces incessantes réformes de structure et une ouverture accrue à la privatisation des services, qu’ils les laisseront peut-être passer, haussant les épaules, en se disant que ça ne peut pas «être pire» que maintenant. Eh bien oui, ça peut être pire! Depuis la création du réseau public, certains s’acharnent à vouloir le privatiser, prétextant faussement que le privé fait mieux et à moindres coûts que le public. Un fantasme économique pourtant réduit à néant par les faits, dans tous les pays démocratiques.

Le gouvernement caquiste démontre constamment qu’il improvise des solutions aux problèmes de transport, d’immigration, d’éducation et de santé et ses prétentions viennent ensuite s’échouer sur les récifs de la réalité terrain. Pour le projet de loi 15, la commission parlementaire a permis d’identifier plusieurs obstacles prévisibles, grains de sable têtus qui feront s’enrayer les beaux rouages promis par le ministre. Que fera le ministre Dubé? Il a déclaré, inconsciemment, qu’il tiendrait compte de toutes les remarques, fussent-elles contradictoires…

Une chose est sûre, ce gouvernement d’entrepreneurs vise la privatisation d’une plus grande partie des services de santé, surtout les moins complexes (hanches, genoux, cataractes, etc.) et donc les plus rentables pour des cliniques décrochées du réseau public. Le ministre nous affirme pourtant le contraire, mais il continue à augmenter la place du privé sous prétexte qu’il vient «soutenir» le service public. Le développement des cliniques privées de «super-infirmières» en est la preuve alors que le secteur public peine à combler les postes d’infirmières-praticiennes spécialisées dans ses propres cliniques.

Le projet de loi 15 devrait être retiré et remplacé par de véritables états généraux de la santé, permettant à la population et aux actrices du réseau de reformuler le contrat social de nos services sociaux et de santé. Sans cela, nous voguerons encore longtemps, de réforme en réforme, vers des services inefficaces, de plus en plus privatisés, donnés par des travailleuses épuisées et mal rémunérées.

Triste, très triste…

Louis Roy


[1] Le féminin sera privilégié comme genre grammatical afin de faciliter la lecture.