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Loi 15 prise 2 : Santé Québec, un triumvirat impotent !

On apprenait, lundi, le 29 avril 2024, qui seraient les «top guns» qui dirigeraient la nouvelle entité Santé Québec. Avec le ministre Christian Dubé, ils formeront le triumvirat sur lequel le gouvernement compte pour que nos services de santé et de services sociaux redeviennent une fierté nationale. Le pari est énorme! Après quarante années de gestion comptable de nos services publics, ceux-ci sont exsangues et les personnels épuisés, désabusés et désertent ce qui est devenu un chaos pratiquement invivable au quotidien. Entre 1983, avec les récupérations des salaires par le gouvernement péquiste de René Lévesque, et 2014, avec la nomination de Gaétan Barrette comme ministre de la Santé, les réformes de structures imposées au réseau l’ont rendu inefficace et les compressions austères l’ont étouffé. En 1996, le départ fortement incité de dizaines de milliers de travailleuses du réseau par le gouvernement de Lucien Bouchard, sous prétexte de déficit zéro, a mené à des pénuries structurelles de personnel et à une perte d’expertise précipitée. Aujourd’hui, 11% des infirmières travaillent au privé et la presque totalité des médecins sont toujours des entrepreneurs privés, offrant des services dans le réseau public remboursés par la RAMQ. Les dépenses strictement privées, elles, non remboursées par la cagnotte collective de la RAMQ, représentent 30% de toutes les dépenses de santé de la population.

Tout un pari…

Si je prends la peine de rappeler ces quelques éléments factuels, c’est pour qu’on réalise que «refonder» le réseau ne peut se faire en niant le passé et encore moins la réalité actuelle du réseau. En créant Santé Québec, concentrant l’administration du réseau en une seule «entité légale», le ministre fait le pari qu’une seule bonne administration peut remplacer toutes les autres, plus locales, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. C’est pourquoi il nous parle depuis des mois des «top guns» du privé qu’il voulait recruter, au point d’en donner le nom à sa cuvée de sirop d’érable de l’année.

Un paradoxe à prouver

Un ministre, deux «top guns»; un triumvirat administratif sensé tracer la voie à une meilleure accessibilité à des services de qualité, à une coordination accrue de l’offre de services et à un rapprochement des communautés des décisions s’y rattachant. Le tout en créant un seul employeur pour toutes les personnes œuvrant dans le réseau. Se concentrer pour mieux se décentraliser, un paradoxe qui demande à être prouvé…

Le fameux triumvirat

Mais revenons sur ce fameux triumvirat. D’abord, parlons du ministre, bien que ce poste soit d’une certaine façon éjectable et que rien ne garantit qu’il soit occupé par M. Dubé lorsque l’agence Santé Québec prendra ses premières véritables décisions ayant un impact sur les services. Quoiqu’il en soit, M.Dubé n’avait, lors de sa nomination, aucune expérience du réseau. Certains y voient un avantage, d’autres un handicap. Cette « incompétence », doublée d’un énorme préjugé favorable au secteur privé, a sans doute poussé le ministre à mettre en place cet «Hydro-Québec de la santé», rempart entre lui et le réseau, entre lui et l’Assemblée nationale. Il faut croire que l’incompréhensible organigramme de son ministère ne l’a pas rassuré sur la capacité de «shaker les colonnes du temple», comme il aime le répéter. Malgré un profil de gestionnaire plutôt effacé, il a réussi à se doter d’un capital de sympathie publique lors du dénouement de la crise de la Covid-19. Qu’un ministre de la santé ne provienne pas du réseau n’est pas une tare en soi. D’autant que les ministres l’ayant précédé depuis vingt ans, tous médecins ou gestionnaires du réseau, n’ont pas réussi à faire la preuve que leur expertise faisait en sorte de les prédisposer à améliorer les services à la population… Cependant, cette carence doit être comblée par l’entourage du ministre, ce qui, normalement, est le lot de sous-ministres provenant du côté administratif ou médical du réseau.

Quant à la première PDG de Santé Québec, Geneviève Biron, son parcours professionnel est on ne peut plus clair. Elle est l’héritière d’un empire qui s’est taillé une place en concurrençant le secteur public et en offrant des services privés dits complémentaires, mais en fait compétitifs au réseau. Les Laboratoires Biron, fondés il y a 70 ans, se sont mis en place avant le réseau public de santé et ont ensuite profité des carences de celui-ci pour se tailler une place grandissante au fur et à mesure que le réseau manquait de ressources pour offrir à la population des services rapidement accessibles et à la fine pointe de la technologie. On peut dire, en exagérant à peine, que plus les listes d’attentes à des services de première ligne augmentaient, plus ce genre d’entreprise voyait sa part de marché augmenter. Évidemment, on ne peut préjuger des qualités d’administratrice de Mme Biron, mais c’est aussi évident que son passé ne peut qu’inquiéter les tenants des services publics en cette période difficile et nébuleuse quant au rôle concret de Santé Québec sur la reddition de service. Disons, poliment, que sa prestation médiatique suite à sa nomination, n’a pas fait osciller l’aiguille de l’échelle Richter…

Le numéro deux de Santé Québec est, au contraire, bien implanté dans le réseau depuis plusieurs années. M. Frédéric Abergel a occupé plusieurs postes de gestion dans le réseau, trop selon plusieurs… En un peu plus de 25 ans de carrière, M. Abergel a occupé pas moins de dix postes différents dans le réseau, avec un très court passage chez Bell Canada et un autre dans une firme-conseil qui a fait son beurre avec les différentes réformes du réseau. Dans le réseau, sa moyenne au bâton est d’environ trois ans par poste occupé. Certains parlent d’ascension, d’autres d’inconstance… Toujours est-il que dans le milieu de la santé, «personne n’a pleuré son départ» à chacun de ces postes. J’ai beau faire aller mes antennes, personne ne m’a parlé d’un leader charismatique; même pas d’un leader en fait… Il n’avait jamais été qualifié de «top gun» auparavant, mais qui sait, une fois au sommet peut-être que la fonction créera l’organe comme dirait Darwin…

Des doutes

J’ai de sérieux doute sur la volonté réelle du gouvernement d’améliorer les services publics de santé et de services sociaux. La vision néolibérale des ténors de la CAQ laisse plutôt à penser que pour eux la solution est au privé. L’agence elle-même est une forme de privatisation ou, du moins, une mise en parallèle avec la gestion publique du MSSS. Et une agence, ça se privatise en un claquement de doigts! Beaucoup plus facilement que des centaines d’établissements éparpillés sur le territoire du Québec. Si le gouvernement avait vraiment eu la volonté d’impliquer les «top guns» du réseau dans Santé Québec, il y aurait fallu mettre les employées en synergie tout au haut de la pyramide. Il est impensable de réformer le réseau et d’en augmenter la part publique sans que les médecins soient associés à l’aventure. On aura beau les critiquer pour leur vision parfois étroite ou marchande, il n’en demeure pas moins qu’ils sont, actuellement, l’épine dorsale des services de santé. S’ils ne s’impliquent pas plus dans un réseau public de santé, il n’y en aura pas! Tout comme si on exclut toutes les catégories de personnels de l’organisation et de l’orientation des services, on ne récoltera que le chaos, comme celui créé par les deux dernières réformes ministérielles de Couillard et Barrette. Et si l’objectif est de créer un réseau en synergie santé-social, on ne peut en exclure les intervenantes sociales. Tout comme si on veut parler de prévention, on ne peut exclure les populations locales et les groupes communautaires impliqués dans l’amélioration des conditions de vie de la population!

Mais voilà, l’agence ne s’appelle que Santé Québec… Rien pour le social, rien pour l’amélioration des conditions de vie. Un réseau de services publics en santé globale, incluant donc le social et l’environnement, est un projet de société en soi. Le ministre Dubé ne nous en rapproche pas. Peut-être même nous en éloigne-t-il…

Louis Roy