
LIBÂRTÉ! LIBÂRTÉ!
Lorsque j’ai entendu ces cris, lors d’une manifestation en soutien à une radio de
Québec, le 22 juillet 2004, j’ai senti que nous glissions vers une confusion grave des genres, entretenue par la droite.
Ce cri, LIBERTÉ, appartient depuis des millénaires aux opprimés, aux sans culottes, aux esclaves, aux exploités, aux prisonniers d’opinion, aux damnés de la terre !
Comment pouvait-il se retrouver dans la bouche de gens qui se portaient à la
défense de salisseurs d’idées, de bouffeurs de réputations ; de parvenus de la
démolition systématique des acquis d’une révolution à peine accomplie ?
Le JE, ME, MOI, porté aux nues par cette foule pouvait-il être le fruit du seul «refus
global» d’une société en quête de son NOUS depuis la défaite de 1759 ? Ce cri
pouvait-il s’adresser à la discussion interminable entre le Canada et le Québec ?
Genre : «Crissez-MOI la paix !» ? N’était-ce qu’un «bouton» sur la face cachée d’une tranquille révolution ?
LIBÂRTÉ ! Alors que certains d’entre nous chantaient «Libérez-nous des libéraux»,
d’autres nous criaient «Libérez-MOI» du NOUS que nous étions encore à construire…
Libérez-MOI des impôts ; libérez-MOI du salon du peuple ; libérez-MOI de la
politique. Laissez-MOI lancer de la merde sur tout ce qui ne me plaît pas ; laissez-
MOI vivre dans l’arrogance, la violence planifiée d’un capitalisme confortable ;
laissez-MOI être insensible à la misère des autres ; laissez-MOI cracher sur les faibles, les immigrants, les fonctionnaires, les syndiqués, les intellectuels ; laissez-MOI remettre les femmes à leur place ; laissez-MOI emplir leurs corsages de silicone et leurs têtes de frivolité. Laissez mes enfants aduler des sportifs incultes et millionnaires. Donnez-MOI du pain, des jeux et du sexe, puis
F O U T E Z – M O I L A P A I X ! L I B A R T É !!!
NOUS avons soulevé un sourcil, jeté un regard étonné et avons lentement détourné la tête… Pourtant ! Pourtant ! D’autres MOI se sont regroupées, jusqu’à former le Réseau Liberté Québec. Rien de moins ! Confusion des genres ! Comment comprendre cette quête de liberté diamétralement opposée au collectif? Comment faire focus sur cet embrouillement ? De quelle liberté se réclame-t-on à droite comme à gauche ? À qui la confusion profite-t-elle ?
Délibérément, le tenants du capitalisme triomphant détruisent le sens des mots qui ont forgé la base de la démocratie : LIBERTÉ – ÉGALITÉ – FRATERNITÉ.
La liberté devient celle de MES droits : MON droit de dire n’importe quoi ; MON droit à assister à MON cours ; MON droit à une équipe de sport dans MA ville ; MON droit à ne pas contribuer à la caisse commune car MOI je ne suis pas malade, je n’ai pas d’enfants, je n’utilise pas VOS services publics.
«MOI MON PÈRE EST RICHE !» Et je compte bien l’être aussi !
MOI, MOI, MOI !
L’égalité devient «chacun doit faire sa juste part», mais pas sa part juste d’impôts !
Fais ta part ! Par la consommation individuelle, par la hausse des droits de scolarité, par une taxe santé, par l’utilisateur-payeur, par, par, par. Fini la citoyenneté ! Fini l’égalité des chances ! Au plus fort la poche !!! Place aux forts, aux riches, aux bellâtres, aux grandes gueules ! Vivement une grippe aviaire pour éliminer tous ces boomers qui m’empêchent de vivre depuis si longtemps ! Fermons nos frontières aux immigrants, ces emmerdeurs qui n’aiment pas MA cabane à sucre ! Tasse-toi mononcle !
La fraternité ? Ben… la fraternité c’est pour ceux qui comptent pour la même équipe que MOI ! C’est pour MES amis Facebook ; c’est pour ceux qui prennent la même bière que MOI, vont au même resto et, surtout, pensent comme MOI et l’écrivent sur MON blogue!
ET NOUS ? Que répondons-nous à cette dérive? Que mettons-nous sur la table, dans la rue, pour opposer une vision révolutionnaire, démocratique, progressiste à cette attaque aux droits fondamentaux de la démocratie ?
NOUS RÉPONDONS FRATERNITÉ !
Avons-nous honte d’affirmer que nous devons être solidaires des uns, en soutien aux autres ? NOUS voulons un Québec libre, mais sommes-nous ouverts à ceux dont les ancêtres n’ont pas connu la défaite sur les Plaines d’Abraham ? NOUS portons l’idée d’une fraternité qui cherche à construire un monde meilleur, ici comme sur toute la planète. NOUS marchons avec ceux et celles qui vont dans la même direction, même s’ils n’ont pas la même langue, la même culture, la même couleur de peau, la même orientation sexuelle, la même religion, les mêmes idées… NOUS misons sur une fraternité permettant d’atteindre l’égalité, la liberté et à les maintenir. Une fraternité qui offre soutien mutuel, coopération, solidarité plutôt que compétition, exploitation, exclusion.
NOUS RÉPONDONS ÉGALITÉ !
Avons-nous honte de dire haut et fort que nous sommes tous égaux ? ÉGAUX, pas IDENTIQUES ! Égaux dans le possible qui s’ouvre à nous. Égaux dans le regard des autres comme dans celui de notre justice collective. Égaux en droits, dans la file à l’épicerie comme dans l’attribution d’un contrat. Égaux, brisant l’hérédité de pouvoirs, offrant les meilleurs soins disponibles à tous. ÉGAUX devant l’instruction !
ÉGAUX dans la syndicalisation ! ÉGAUX à la Rousseau : « [que] nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. »
NOUS RÉPONDONS LIBERTÉ !
Avons-nous honte de défendre l’État que nous avons construit ? Un état avec des fonctionnaires, des enseignants, des soignants ? Un état qui a un coût. Un état où chacun doit faire sa part en contribuant selon ses moyens. Bien sûr la liberté apporte une jouissance individuelle ; oui la liberté crée MES droits. Mais la liberté elle-même ne peut être créée par UN individu ; elle se fonde sur le collectif, par le collectif, pour le collectif, somme d’individus. Sortons de cette confusion où certains opposent les droits individuels aux droits collectifs. Si un individu peut faire reconnaître SON droit à assister à un cours d’anthropologie, c’est parce que COLLECTIVEMENT NOUS avons permis l’existence de ce cours. Et ce cours nous ne l’avons pas offert à UN individu,nous l’avons offert à la collectivité. Si après débat et vote, ces individus suspendent démocratiquement ce cours, le collectif l’emporte sur l’individuel.
La LIBERTÉ nous permet de créer le périmètre collectif dans lequel s’épanouiront les droits individuels. Jamais l’inverse !
MES droits s’arrêtent aux pieds de ceux des autres individus et ils n’existent que par la volonté commune de les voir naître, de les faire respecter, de les multiplier !
LIBERTÉ n’est pas LIBÂRTÉ !
NOUS ?
Droits et démocratie ; parole et action ; citoyenneté et solidarité ; fraternité et
sororité ; égalité et respect. Liberté et responsabilité.
NOUS ?
Quelques mots à mettre en ordre ; à décliner à la première personne du singulier
comme du pluriel.
NOUS ?
C’est tout. Tout simplement. LUI, TOI, ELLE, MOI ; c’est NOUS. Sans restriction, sans
réserve, sans limite.
NOUS ? C’est NOUS !
Louis Roy, Président de la CSN. 7 avril 2012
Pour voir la vidéo: https://fb.watch/CdbetL7B75/

Merci à Brigitte Haentjens, Sébastien Ricard, Pierre-Laval Pineault et tous les autres qui ont permis ces 12 heures d’expressions publiques pour mieux saisir ce qu’est le NOUS québécois.