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NOUS ? – 7 Avril 2012

LIBÂRTÉ! LIBÂRTÉ!

Lorsque j’ai entendu ces cris, lors d’une manifestation en soutien à une radio de
Québec, le 22 juillet 2004, j’ai senti que nous glissions vers une confusion grave des genres, entretenue par la droite.
Ce cri, LIBERTÉ, appartient depuis des millénaires aux opprimés, aux sans culottes, aux esclaves, aux exploités, aux prisonniers d’opinion, aux damnés de la terre !
Comment pouvait-il se retrouver dans la bouche de gens qui se portaient à la
défense de salisseurs d’idées, de bouffeurs de réputations ; de parvenus de la
démolition systématique des acquis d’une révolution à peine accomplie ?
Le JE, ME, MOI, porté aux nues par cette foule pouvait-il être le fruit du seul «refus
global» d’une société en quête de son NOUS depuis la défaite de 1759 ? Ce cri
pouvait-il s’adresser à la discussion interminable entre le Canada et le Québec ?
Genre : «Crissez-MOI la paix !» ? N’était-ce qu’un «bouton» sur la face cachée d’une tranquille révolution ?
LIBÂRTÉ ! Alors que certains d’entre nous chantaient «Libérez-nous des libéraux»,
d’autres nous criaient «Libérez-MOI» du NOUS que nous étions encore à construire…
Libérez-MOI des impôts ; libérez-MOI du salon du peuple ; libérez-MOI de la
politique. Laissez-MOI lancer de la merde sur tout ce qui ne me plaît pas ; laissez-
MOI vivre dans l’arrogance, la violence planifiée d’un capitalisme confortable ;
laissez-MOI être insensible à la misère des autres ; laissez-MOI cracher sur les faibles, les immigrants, les fonctionnaires, les syndiqués, les intellectuels ; laissez-MOI remettre les femmes à leur place ; laissez-MOI emplir leurs corsages de silicone et leurs têtes de frivolité. Laissez mes enfants aduler des sportifs incultes et millionnaires. Donnez-MOI du pain, des jeux et du sexe, puis

F O U T E Z – M O I L A P A I X ! L I B A R T É !!!

NOUS avons soulevé un sourcil, jeté un regard étonné et avons lentement détourné la tête… Pourtant ! Pourtant ! D’autres MOI se sont regroupées, jusqu’à former le Réseau Liberté Québec. Rien de moins ! Confusion des genres ! Comment comprendre cette quête de liberté diamétralement opposée au collectif? Comment faire focus sur cet embrouillement ? De quelle liberté se réclame-t-on à droite comme à gauche ? À qui la confusion profite-t-elle ?
Délibérément, le tenants du capitalisme triomphant détruisent le sens des mots qui ont forgé la base de la démocratie : LIBERTÉ – ÉGALITÉ – FRATERNITÉ.
La liberté devient celle de MES droits : MON droit de dire n’importe quoi ; MON droit à assister à MON cours ; MON droit à une équipe de sport dans MA ville ; MON droit à ne pas contribuer à la caisse commune car MOI je ne suis pas malade, je n’ai pas d’enfants, je n’utilise pas VOS services publics.
«MOI MON PÈRE EST RICHE !» Et je compte bien l’être aussi !
MOI, MOI, MOI !
L’égalité devient «chacun doit faire sa juste part», mais pas sa part juste d’impôts !
Fais ta part ! Par la consommation individuelle, par la hausse des droits de scolarité, par une taxe santé, par l’utilisateur-payeur, par, par, par. Fini la citoyenneté ! Fini l’égalité des chances ! Au plus fort la poche !!! Place aux forts, aux riches, aux bellâtres, aux grandes gueules ! Vivement une grippe aviaire pour éliminer tous ces boomers qui m’empêchent de vivre depuis si longtemps ! Fermons nos frontières aux immigrants, ces emmerdeurs qui n’aiment pas MA cabane à sucre ! Tasse-toi mononcle !
La fraternité ? Ben… la fraternité c’est pour ceux qui comptent pour la même équipe que MOI ! C’est pour MES amis Facebook ; c’est pour ceux qui prennent la même bière que MOI, vont au même resto et, surtout, pensent comme MOI et l’écrivent sur MON blogue!

ET NOUS ? Que répondons-nous à cette dérive? Que mettons-nous sur la table, dans la rue, pour opposer une vision révolutionnaire, démocratique, progressiste à cette attaque aux droits fondamentaux de la démocratie ?


NOUS RÉPONDONS FRATERNITÉ !
Avons-nous honte d’affirmer que nous devons être solidaires des uns, en soutien aux autres ? NOUS voulons un Québec libre, mais sommes-nous ouverts à ceux dont les ancêtres n’ont pas connu la défaite sur les Plaines d’Abraham ? NOUS portons l’idée d’une fraternité qui cherche à construire un monde meilleur, ici comme sur toute la planète. NOUS marchons avec ceux et celles qui vont dans la même direction, même s’ils n’ont pas la même langue, la même culture, la même couleur de peau, la même orientation sexuelle, la même religion, les mêmes idées… NOUS misons sur une fraternité permettant d’atteindre l’égalité, la liberté et à les maintenir. Une fraternité qui offre soutien mutuel, coopération, solidarité plutôt que compétition, exploitation, exclusion.


NOUS RÉPONDONS ÉGALITÉ !
Avons-nous honte de dire haut et fort que nous sommes tous égaux ? ÉGAUX, pas IDENTIQUES ! Égaux dans le possible qui s’ouvre à nous. Égaux dans le regard des autres comme dans celui de notre justice collective. Égaux en droits, dans la file à l’épicerie comme dans l’attribution d’un contrat. Égaux, brisant l’hérédité de pouvoirs, offrant les meilleurs soins disponibles à tous. ÉGAUX devant l’instruction !
ÉGAUX dans la syndicalisation ! ÉGAUX à la Rousseau : « [que] nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. »


NOUS RÉPONDONS LIBERTÉ !
Avons-nous honte de défendre l’État que nous avons construit ? Un état avec des fonctionnaires, des enseignants, des soignants ? Un état qui a un coût. Un état où chacun doit faire sa part en contribuant selon ses moyens. Bien sûr la liberté apporte une jouissance individuelle ; oui la liberté crée MES droits. Mais la liberté elle-même ne peut être créée par UN individu ; elle se fonde sur le collectif, par le collectif, pour le collectif, somme d’individus. Sortons de cette confusion où certains opposent les droits individuels aux droits collectifs. Si un individu peut faire reconnaître SON droit à assister à un cours d’anthropologie, c’est parce que COLLECTIVEMENT NOUS avons permis l’existence de ce cours. Et ce cours nous ne l’avons pas offert à UN individu,nous l’avons offert à la collectivité. Si après débat et vote, ces individus suspendent démocratiquement ce cours, le collectif l’emporte sur l’individuel.
La LIBERTÉ nous permet de créer le périmètre collectif dans lequel s’épanouiront les droits individuels. Jamais l’inverse !
MES droits s’arrêtent aux pieds de ceux des autres individus et ils n’existent que par la volonté commune de les voir naître, de les faire respecter, de les multiplier !


LIBERTÉ n’est pas LIBÂRTÉ !


NOUS ?
Droits et démocratie ; parole et action ; citoyenneté et solidarité ; fraternité et
sororité ; égalité et respect. Liberté et responsabilité.


NOUS ?
Quelques mots à mettre en ordre ; à décliner à la première personne du singulier
comme du pluriel.


NOUS ?
C’est tout. Tout simplement. LUI, TOI, ELLE, MOI ; c’est NOUS. Sans restriction, sans
réserve, sans limite.


NOUS ? C’est NOUS !


Louis Roy, Président de la CSN. 7 avril 2012

Pour voir la vidéo: https://fb.watch/CdbetL7B75/

Merci à Brigitte Haentjens, Sébastien Ricard, Pierre-Laval Pineault et tous les autres qui ont permis ces 12 heures d’expressions publiques pour mieux saisir ce qu’est le NOUS québécois.

Élections fédérales : La piscine à vagues!

Les cent premières années du Canada se sont déroulées dans une seule et unique atmosphère électorale, celle du bipartisme. Le pouvoir est donc passé des bleus aux rouges, puis des rouges aux bleus dans une alternance permettant un développement relativement comparable entre les régions du Canada. Les méthodes électorales étaient simples : promesses de routes et corruption du vote, le tout agrémenté de claques sur la gueule et de boîtes de scrutin à double fond. Avec l’ère de la rectitude politique, les partis politiques ont développé de nouvelles formes de tromperies pour le bon peuple : publicité négative, faux débats télévisés, enjeux identitaires faussés ou politiques de division ont pris la relève des batailles physiques. Mais les promesses et la corruption sont quand même demeurées des éléments constitutifs du système électoral uninominal à un tour. Les lobbyistes s’assurent maintenant que le système est bien graissé, mais légal…

Au Québec nous avons ajouté un ingrédient subversif aux élections fédérales, la souveraineté du Québec. Ainsi, dans les années 1960 et 1970, nous avons choisi d’ignorer la diversité canadienne pour la réduire à une vision bipolaire : les indépendentistes d’un côté et les méchants «canadian red necks» anti québécois de l’autre. Bien que l’exploitation des canadiens français par une élite anglophone fut une réalité incontestable de notre histoire, nous avons oublié qu’il y avait aussi au Canada les nations autochtones, les pêcheurs ancestraux de Terre Neuve, les acadiens des Maritimes, les franco ontariens, les métis et les francos des Prairies, les immigrants européens de l’est et les britanno colombiens plus intéressés par l’Asie et la Côte ouest américaine que par leurs lointains colocataires au Québec. Bref, nous avons oublié que le Canada «uni contre nous» n’existait pas. Du moins pas au point de créer chez ses habitants, coast to coast, une appartenance identitaire unique. Peut-être même que notre volonté de réinventer le Québec comme un pays souverain, a-t-elle permis, enfin, à un gouvernement central de définir ce qu’était ce Canada dans lequel ils voulaient vivre. Pierre Trudeau a pu alors se permettre d’écrire la recette de ce nouveau pays, vieux de plus de cent ans : une charte des droits, une forme de multiculturalisme courtepointe et une identité pacifiste internationale, sans parler d’une Constitution faussement rapatriée pour laquelle le Québec n’a pas eu son mot à dire.

Après 25 ans de polarisation politique, au début des années 1990, la deuxième défaite référendaire des indépendantistes avait été précédée d’une première vague électorale québécoise qui envoyait, du Québec à Ottawa, une majorité de députés «séparatistes». Cette sortie du bipartisme habituel allait marquer un tournant qui semble se poursuivre encore aujourd’hui. Plusieurs électeurs ont de plus compris que peu importe qui gouverne ce pays, ce ne sont pas les députés qui influencent l’avenir, ni même le chef de la formation politique majoritaire. Au pouvoir ou dans l’opposition, les politiques néolibérales continuent leur gros bonhomme de chemin, sans se préoccuper des gouvernements «locaux», si ce n’est pour leur soutirer encore plus de privilèges pour les banquiers, multinationales et financiers du monde. L’establishment n’est plus «canadian red neck», il est planétaire. Les élections locales ne servent donc qu’à choisir avec quelle intensité nous allons subir les contrecoups des crises économiques d’un système en folie, les problèmes de pollution et de dérèglement du climat, ainsi que les attaques à nos services collectifs et à nos conditions de vie au travail.

Vu comme ça, la fidélité à un parti n’a plus de sens. Il vaut mieux choisir celui qui nous fera le moins mal et nous permettra de vivre encore quelques années dans l’inconscience de ce qui nous attend. Ou, pour les plus optimistes, cela permet de préparer les conditions pour un jour changer le système de fou dans lequel nous vivons. Nous sommes entrés dans l’ère politique de la piscine à vagues! Et comme disait Bob Dylan en 1964, dans sa chanson The Time They Are a-Changing, il serait grandement temps d’apprendre à nager! «Then you better start swimmin’, Or you’ll sink like a stone.»

Louis Roy

Paru dans Le Devoir du 22 octobre 2015

Journée d’appui aux prisonniers politiques. (27/06/2013)

Exploitation et résistance

Il y a plusieurs manières d’exploiter les gens. Les systèmes économiques sont particulièrement habiles pour ce faire. Le capitalisme étant sans doute le système qui a développé les plus subtiles façons de tirer le maximum de la force ouvrière sans en payer le prix et même en profitant encore et toujours de ceux et celles qui produisent les richesses en leur permettant de s’endetter pour acquérir ce qu’ils produisent… Sans parler des désirs suscités par la publicité et le gonflage de voisins !

Il y a moins de façons pour faire taire les gens. On peut les discréditer et les faire passer pour des excentriques presque fous ; on peut les acheter ; on peut leur faire peur et les faire chanter ; on peut les emprisonner ou même les faire disparaître à jamais. Alors quand des gouvernements ou des groupes assoiffés de pouvoir et d’argent décident de museler leurs opposants, ils n’hésitent pas à frapper fort, quitte à priver tout un peuple de ses libertés fondamentales.

Mais les gens honnêtes, les militantes et militants de cœur, résistent toujours aux actes ignobles de ceux qui veulent les faire taire. Les militantes et militants de cœur ne sont pas achetables ! Et une fois qu’ils ont surmonté la peur, ils sont encore plus courageux ! Alors que reste-t-il aux oppresseurs pour nous faire taire ? La prison, la torture, la mort.

Gouvernements du peuple ou du business ?

Le Comité des libertés syndicales du Bureau International du Travail (BIT) a souligné, en juin dernier, que plusieurs pays utilisaient encore l’emprisonnement de syndicalistes pour contrer le droit au travail, à la syndicalisation et à la négociation. Ces gouvernements ont choisi leur camp : celui des entreprises au détriment de leur population. Le Myanmar, le Guatemala, l’Iran  et le Mexique ont fait l’objet de plaintes officielles au sujet de l’emprisonnement de syndicalistes. Mais ils ne sont pas les seuls. Loin de là ! L’automne dernier plusieurs syndicalistes turcs ont été emprisonnés. Et s’il fallait sortir un peu du champ du monde du travail, le nombre de pays qui emprisonnent leurs concitoyens pour délit d’opinion serait faramineux !

On n’a pas besoin d’être sous une dictature pour subir la pression et la répression contre notre liberté d’expression. Les William Assange et  Edward Snowden de ce monde savent que révéler les actes répréhensibles de gouvernements dits démocratiques est presqu’aussi dangereux  qu’être espion en territoire étranger ! Les «whistleblowers», dénonciateurs de pratiques frauduleuses dans leur entreprise ou même au gouvernement, n’ont pratiquement aucune protection et risquent le congédiement et les poursuites baillons.  Même chose pour les citoyens qui ont dénoncé l’utilisation de fausses informations téléphoniques par les conservateurs lors de la dernière élection fédérale ; idem pour les groupes environnementaux, chercheurs, auteurs, éditeurs qui ont dénoncé certaines pratiques de compagnies minières à l’étranger.

2 heures en prison pour vos opinions politiques et vous êtes un prisonnier politique !

Et puis je pourrais ajouter tous les manifestants qui se sont opposé à la hausse des droits de scolarité au Québec l’an dernier. Plusieurs ont été emprisonnés quelques heures pour avoir exprimé leur opinion dans la rue.  Arrêtés en vertu de règlements inacceptables ou de lois iniques, ces «jeunes» ne sont pas des bandits. Prisonniers politiques ? OUI !

L’utilisation de la prison comme moyen de dissuasion de l’expression d’un point de vue politique est tout aussi inacceptable, que l’emprisonnement ait duré 2 heures, 2 jours, 2 mois, 2 ans ou 20 ans. Les conséquences sur les individus sont les mêmes : la peur d’exprimer publiquement un point de vue divergent de celui du pouvoir en place. Une fois qu’un gouvernement prend goût à cela, qu’est-ce qui l’empêchera d’aller plus loin ?

Les néolibéraux ont des projets pour nous museler…

En 2011, le Chili avait déposé devant le Congrès national une proposition qui aurait permis l’emprisonnement de gens participant à des «troubles» ayant pour effet de «…paralyser ou interrompre un quelconque service public  ; … empêcher ou perturber la libre circulation des personnes ou des véhicules sur les ponts, dans les rues, sur les routes ou sur d’autres biens d’usage public similaires ; … outrager l’autorité ou ses agents». Une tentative qui n’a pas abouti concrètement. Mais on voit bien où les gouvernements néolibéraux veulent aller : faire suffisamment peur au peuple pour qu’il cesse de revendiquer, critiquer et surtout manifester.

Notre réponse : la résistance et la rue !

C’est contre ça qu’il faut continuer à se battre ! Notre liberté d’expression n’a pas de prix ! Voilà pourquoi il faut manifester contre les emprisonnements politiques partout sur la planète. À défaut de quoi nous aurons des peuples encore plus soumis et des gens comme vous, comme moi, en prison pour leurs idées ! Ayons une pensée spéciale pour Nelson Mandela, aujourd’hui à l’article de la mort. Les 27 années de prison à cause de ses opinions ont permis à tout un peuple de sortir d’une prison encore plus exécrable, l’apartheid sud-africain ! Rendons-lui hommage et remercions-le de nous avoir démontré que notre principale force est la résistance.

Liberté !